Traumavertissement: trouble alimentaire, suicide. Des ressources sont disponibles à la fin de l’article.
J’ai été diagnostiquée avec un trouble alimentaire à l’âge de huit ans. Pour certains, ça peut sembler jeune, si c’est le cas, vous allez être un peu troublé par la prochaine information. Comme j’ai dit, le diagnostic a été émis à huit ans, mais ma première crise a eu lieu lorsque j’avais quatre ans, selon les dires de ma mère. À quatre ans, du jour au lendemain, je refusais de manger. À huit ans, après le décès de ma grand-mère, ma pédiatre m’a envoyée faire des tests parce que je refusais de manger sous prétexte que j’avais l’impression de m’étouffer. Donc après un examen médical, qui a duré plusieurs mois, avec plusieurs tests, ils ont déclaré qu’aucune raison physiologique n’était en cause et m’ont transférée à une nutritionniste et à une psychologue.
Me voilà donc du haut de mes huit ans à suivre pour la première fois de ma vie une thérapie pour un trouble alimentaire. Après plusieurs années, le diagnostic est finalement tombé : anorexie liée à un besoin de contrôle. À cet âge-là, je ne peux pas vous dire que je comprenais entièrement ce diagnostic. Aujourd’hui, quatre crises plus tard, je peux vous dire que je le comprends et je comprends mon pattern.
J’ai suivi tous les conseils de la nutritionniste pour prendre du poids. Le mot d’ordre : du gras, qu’il soit bon ou non. Mon alimentation était donc composée d’un avocat par jour, de lait à 3.25%, de sauce hollandaise et de friture. Pourtant j’avais toujours ce sentiment que j’allais m’étouffer si je mangeais… Donc je suis quand même restée en sous-poids… Pendant longtemps. Je suis entrée en secondaire 1 et je pesais 65lbs…
Puis, un jour, ça a passé. J’ai réussi à recommencer à manger normalement. J’ai repris du poids, j’ai commencé à avoir des formes, à grandir. Mon corps se portait mieux et ma santé mentale, quoique toujours pas optimale, s’améliorait… J’ai 12 ans et je recommence à manger. On arrête donc les suivis en psychologie. Tout va bien.
En secondaire 4, je vis avec mon plus gros deuil à vie : mon père s’est enlevé la vie. Sur le coup, tout va bien, mes notes n’ont jamais été aussi bonnes, je ris malgré la peine, je veux prouver à tout le monde que je suis forte, que je peux réussir malgré tout. Viennent alors les 2e bulletins, tout s’effondre autour de moi, mes sœurs vont de moins en moins bien. Ma mère est en congé maladie pour pouvoir prendre soin de nous, mais sans jamais prendre soin d’elle. On est dans le creux de la vague de ce tsunami qui est notre vie. On est en thérapie, on essaie de comprendre, d’avancer.
Source photo : Jenifer Vallée
J’arrive en secondaire 5, on est encore en mode survie. Mais ça fait un an et selon les gens, on devrait aller mieux. Je suis en secondaire 5, je gradue, je suis présidente de l’école, je suis dans tous les comités, je fais du théâtre, mon bal approche, mais je réalise que mon père ne sera pas là pour voir tout ça et que je n’ai aucun contrôle sur cette situation. Je commence par ne plus déjeuner. Personne ne le remarque vraiment. J’arrête ensuite de dîner. Je suis tellement occupée tout le temps que personne ne va le remarquer de toute façon. La perte de poids par contre se camoufle moins bien. Au moment où quelqu’un décide de sonner l’alarme, j’ai 16 ans, je mesure 5pied6 et je pèse 115 lb. Il est déjà trop tard. Je mange déjà plus et pour ceux qui ne le savent pas, c’est un cercle vicieux : moins tu manges, moins tu as faim. Je n’ai donc plus faim. On a beau essayer de me forcer à manger, à surveiller que je mange toute mon assiette, mais je n’ai pas faim. C’est le retour en thérapie : je suis dans le déni, je vais bien, j’étais anorexique, mais c’est fini, je suis passée au travers.
En rentrant au Cégep, je recommence à prendre du poids. Je découvre un Nouveau Monde, j’ai le contrôle sur ce que j’étudie, j’ai de nouvelles amies, mon premier vrai copain et tout va bien. Je nomme plus facilement mes émotions, j’essaie d’apprendre le lâcher-prise. On est en 2013 et je progresse, mais pas assez. Ma quatrième crise d’anorexie arrive, mais celle-là, personne ne la voit venir. C’est moi qui un jour réalise la situation et me reprends en main, mais sans vraiment reprendre le poids. Je fais juste m’assurer de ne plus en perdre et je suis stable.
Source image : Jenifer Vallée
Aujourd’hui, quand je regarde les photos de ces moments-là, je le vois bien que mon corps était trop maigre et que j’avais l’air malade. Aujourd’hui, au lieu de dire que j’ai été anorexique, je dis que je souffre d’un trouble alimentaire. Aujourd’hui, je réalise que c’est un trouble de santé mentale avec lequel je dois me battre tous les jours de ma vie.
Ces temps-ci, la vie est un peu plus difficile. Mon rapport avec mon corps n’est pas à son meilleur et j’ai très peu de contrôle sur tout ce qui m’arrive. Je dois redoubler d’efforts pour me rappeler que je dois manger, que ce n’est pas sain d’arrêter, mais il y a des journées où je flanche et que j’arrive juste à manger un repas dans ma journée. Je dois me regarder plus souvent dans le miroir et me rappeler que même si je me trouve grosse, au moins je suis en santé. Je dois me rappeler tous les jours que je peux parler, de comment je me sens, avec les gens qui m’entoure. Ce que je trouve dur, ce sont les commentaires des gens sur ma prise de poids. Me semble qu’en 2021, les gens devraient apprendre à ne pas commenter sur le poids des autres. Si tu as une chose que tu dois retenir de ce texte : cesse de commenter sur le poids des autres, s’il te plait.
Je sais maintenant reconnaitre les signes qui viennent avant d’avoir une crise. Je sais que je suis sur le bord d'en vivre une autre, mais je travaille fort pour éviter que ça arrive. J’ai aujourd’hui presque 26 ans, ça fait donc 19 ans que je vis avec un trouble alimentaire et que chaque jour je vis un combat avec moi-même pour passer aux travers.
Si vous vous trouvez dans une situation semblable, ou avez un proche qui semble avoir besoin d’aide, n’hésitez surtout pas à aller chercher du soutien. Voici une liste de ressources qui sauront vous épauler.
Ressources
- Pour les jeunes, il est possible de clavarder avec un professionnel de Tel-Jeunes par courriel, ou par téléphone en composant le 1-800-263-2266
- Pour tous, il est possible de communiquer avec Tel-écoute par téléphone au 514-493-4484
- Pour tous, il est possible de communiquer avec Anorexie et boulimie Québec (ANEB) au 1-800- 630- 0907 ou au 514- 630-0907
- Association québécoise de prévention du suicide
- Si tu as des idées suicidaires ou que tu es en crise, n’hésite pas à demander de l’aide