Je m'en souviens parfaitement. J'avais 18 ans, et je me disais qu'à 30 ans je serais mariée avec 2 enfants. J'en voulais 3, donc le 3e viendrait juste après, probablement.

C'était sûrement lié à mon schéma familial : une mère jeune (et belle), 4 enfants, une ambiance de feu à la maison, le pied.

Bon, je n’ai pas eu tout faux, car à 30 ans j'étais mariée (à 29 ans et 10 mois pour être exacte). Aujourd'hui, quand j'écris ces lignes, je vais bientôt avoir 35 et je n'ai pas d'enfant.

Pas encore.

Je m'en souviens parfaitement.

C'était un vendredi matin, la journée s'annonçait bien : rendez-vous à l'hôpital, courses au marché, et départ au chalet. Je n'avais pas prévu entendre à 8h30 «je suis désolée, mais on ne voit pas de coeur». Grossesse arrêtée. Pas de petit cœur qui battait mais le mien qui s'emballait. Je passais d'enceinte de 8 semaines à plus rien du tout.

En soi, c'est tout à fait correct d'avoir 35 ans et ne pas avoir d'enfant (que tu en veuilles ou non). À vrai dire, jusque mes 33 ans (pour être précise à nouveau, jusque mes 32 ans et 10 mois) je n'étais pas prête. Ma vie était ponctuée de voyages, sorties, week-ends à droite à gauche, et de découvertes. Pas d'enfant, finalement c'est plus de liberté, non ?

Une chose est certaine : je regrette zéro de ne pas avoir commencé plus tôt. Une autre chose est également certaine : les femmes, on est zéro préparé au sujet de la fertilité, de la non-fertilité, de la presque-fertilité, de la ah-mais-my-god-cette-fertilité.

Et c'est fucking difficile.

Alors je décide de coucher ces pensées, ces mots, ces réflexions sur papier avec deux buts en tête. Le premier est complètement égoïste : partager son histoire et sa peine aide à accepter, aide à avancer, aide à nourrir de l'espoir à nouveau. Le deuxième est complètement altruiste : lire, écouter, comprendre que tu n'es pas seule dans ce tourbillon incompréhensible et bien ça change (presque) tout.

Car oui, c'est un tourbillon, et oui, c'est vraiment incompréhensible.

Tu ne maîtrises pas grand-chose, tu attends, tu espères, tu espères très fort, et tu es déçue. Parfois ce n’est presque rien, tu t’en doutais. Parfois ça fait vraiment mal, même si tu t’en doutais aussi. Mais tout au fond de toi, tu espérais tellement. Tu l’espérais tellement ce fameux instant. Que tu as connu une fois. Mais qui n’a duré que quelques jours à peine. Et cette peine, elle dure depuis des mois elle.

Tu te dis que ça va arriver ; que ça va t’arriver à toi aussi. Un jour. Tu te répètes : «sois patiente».

Mais la patience ce n’est pas vraiment quelque chose que tu as appris. Ce que tu as appris, c’est d’avoir tout, tout le temps, tout de suite. Ce que tu as appris, c’est ce que tu as souvent entendu et vu : et ça avait l’air plutôt facile. Alors c’est frustrant. Surtout quand tu avais prévu que ça le soit, facile. Et que prévoir, c’est ce que tu fais depuis toujours, au bureau, à la maison, partout. Et depuis des mois, tu essayes de désapprendre à prévoir.

Parfois tu te dis qu’au fond, tu n’avais jamais vraiment rien vécu de très difficile dans ta vie; que c’est peut être ta dose à toi. Mais bon tu espères quand même que la vie, ça ne marche pas forcément comme ça, car sinon, tu n’as pas fini d'en baver. Et puis ça suffit les pensées noires. Ça ne sert à rien.

On te dit que ça va venir, qu’il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas. Merde, et bien si. Il y en a sûrement plein de raisons, vu que ça ne fonctionne pas. Chaque cas est différent, chacun est unique. Et pourtant on cherche des patterns autour de soi, en lisant, en écoutant, en parlant.

Et justement, lire, parler, écouter, ça fait tellement de bien. Ça aide, ça libère, ça fait penser, ça fait réfléchir, ça fait tout sortir, ça fait qu’on se sent moins seule. Ça fait que tu écris ces pensées, pour extérioriser. Pour t’aider toi. Et peut-être aider un jour quelqu’un.

La vie doit continuer, tu le sais et tu te le répètes. Mais ce que tu cherches, c’est continuer ta vie à toi, en essayant de donner la vie à ton tour. Et du coup est-ce que tu passes à côté de ta vie là maintenant tout de suite à ne penser qu’à ça ? Soyons honnêtes, tu ne peux pas t'empêcher de penser que tu as perdu 1, 2 voire 3 ans de ta vie à ne focaliser que sur ça. Les gens ont beau te dire «la clé c'est de ne pas y penser». Je ne crois pas que cette clé existe. Impossible. Tu y penses chaque jour, chaque heure, chaque minute.

Et en fait, c'est ton vrai premier projet qui échoue.

Mais ce n'est pas comme apprendre une langue étrangère : plus les semaines passent et plus tu apprends et travailles, et tu peux arriver à tes fins. Là, c'est 100% différent, car tu n'as aucune emprise sur rien. C'est la nature qui décide. Est-ce que tu dois réduire ton stress ? Sûrement, mais est-ce que c'est la clé ? Peut-être pas. Il n’y a aucune bonne réponse, aucune certitude. Et aussi, il y a bien pire dans la vie, ça tu le sais au fond de toi.

Et en plus, tu es 2. Tu n’es pas seule là-dedans. Il y a lui. Vous êtes 2 c’est vrai. Ça vous renforce et ça vous lie. C’est là pour durer, encore plus que ce qui était prévu peut-être. Lui aussi il souffre. Surtout de te voir et de te savoir triste. Heureusement qu’il est là lui.

Et le fameux jour arrive, enfin !

Par surprise ou grâce à l'aide de la science (merci la science !), bonheur. Tu as souvent entendu que rien n'est acquis, que ce bonheur parfois ne tient qu'à un fil. Alors chaque jour tu te dis que c'est fragile, tu espères que ça continue. Tu le sais maintenant qu'une femme sur quatre voit sa grossesse arrêtée (tu as depuis quelque temps décider que «fausse couche», c'est un faux terme complètement nul que tu boycottes fort). Et tu réalises que UNE sur QUATRE, c'est énorme. Comment est-ce que tu n'as pris conscience de cela qu'il y a quelques mois ? On n'en parle pas, ou pas assez. Il faut en parler, il faut prévenir. Et un jour, l'expression «ne tient qu'à un fil» prend tout son sens. Il t'arrive en pleine face ce sens. Après 2 semaines, après 7 semaines, après... tous les chiffres se valent. C'est déjà trop. Tu as eu le temps d'aimer ce futur mini-toi, ce futur mini-vous. Et même si tu savais que ça pouvait arriver, alors quand ça arrive, tu chutes de haut.

Aujourd'hui je crois que je vais plutôt bien, grâce à lui, on est deux. Grâce à mes proches, qui me soutiennent. S'ils me soutiennent c'est que j'ai choisi de leur en parler, sans filtre, sans tabou, pour partager ma peine oui mais pour qu'ils comprennent, et qu'ils partagent eux aussi quand viendra le moment.

La prochaine fois sera la bonne, je le sais. Je dois le savoir sinon sans espoir, c'est dur d'avancer. L'avantage c'est que je peux à nouveau acheter du fromage sans me soucier de la fameuse pasteurisation et que je sors à nouveau le soir en Uber car, oui, j’en prendrai volontiers de ce vin blanc minéral-bien-sec-pas-trop-fruité. Il faut bien trouver des petites étincelles de bonheur à travers cette route sinueuse.

La prochaine fois, ce sera la bonne.

Image de couverture via Unsplash
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