Ma belle amie
Mon amie est là, elle boit. Mon amie est là, elle danse. De sa démarche valseuse, mon amie enchaine les chansons et les shooters.
Une bonne amie qui ne demande qu’à vivre.
Enracinée, indépendante, libre, forte, grossière, poilue des jambes et pas de brassière ; elle est belle.
Elle porte mon foulard de laine. Pas un lainage de type compliqué. Seulement des fils blancs, verts, et bleus. Quelque chose que ma grand-mère a dû me crocheter de ses doigts pleins d’arthrite. J’ai dû en hériter et j’ai dû le donner. La preuve, je ne le porte pas. La preuve, il est là! Sur mon amie, mon foulard de fils blancs, verts, et bleus repose. Dans le cou de celle-ci, mon foulard s'est échoué. Mon amie, mon foulard, mon amie-foulard.
Imbibés d’alcool, les deux dansent et s’amusent. Mon foulard et mon amie s’éclatent. Je les regarde tourner ; de sacrées toupies, de vrais fous. Mon amie est une folle et mon foulard l'est tout autant!
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Elle est belle, mon amie.
Elle porte une casquette de Gun’s and Roses. Tout le monde en porte une. Tout le monde danse avec leurs casquettes de Gun’s and Roses.
Tout le monde s’enfile les pintes et tout le monde boit! Tous cherchent à oublier, à s’oublier un peu, en même temps. À se créer une autre histoire et s’évaporer, presque totalement. Boire, boire et boire jusqu’à en perdre la vue et l’équilibre. Boire jusqu’à en perdre la carte sur l’autoroute 66 de la débauche. Boire jusqu’à en être un autre. Boire sans lendemain. Boire, boire et toujours plus, toujours plus boire.
Elle détonne, mon amie.
Une lumière dans un orage gris. Elle danse et plus elle danse, plus les hommes autour se rapprochent. Ils se collent à elle. Elle ne peut plus danser. Elle ne peut plus bouger ni respirer. Prisonnière d’une marré de mains qui l’agrippent et l’abusent, elle suffoque.
Je la remarque. Elle essaye de se propulser hors de cette vague. Je ne fais rien. Rien qu’observer en silence ; un imbécile inactif parmi tant d’autres. J’pourrais simplement me lever, faire quelque chose. J'pourrais faire de quoi, simplement de quoi, une différence, un geste de soutien, mais j’fais rien. J’reste assis et j’me transforme en spectateur.
C'est elle qui doit subir les regards, les commentaires, les remarques et les caresses déplacées. La réalité de merde de vivre dans un monde où l’homme se croit tout permis. Je la vois se mettre en colère, s’enflammer. Littéralement, sous mes yeux, elle brule, emportant avec elle son entourage. Brulant la piste de danse, faisant exploser chaque bouteille de verre en une gerbe de vitre.
Elle brule et avec elle, brule le monde.
Mon amie brule. Je brule. Je brule de sa colère. Je brule de sa puissance. Vue par les hommes comme une conquête, rien de plus. Elle n’est plus humaine, ne semble jamais l'avoir été.
Mon amie est feu. Elle est colère. Elle est justice, elle l’a toujours été. Mon amie est mon amie et je suis soulagé de bruler avec elle. Que cette colère nous purge et qu’elle nous enseigne. Brulons.
Brule-nous, ma chère et douce amie, brule-nous!