Moritz, Wendla, Melchior, Martha et Otto. Cinq pousses d’adultes qui essaient tous.tes de grandir droit.e.s, chamboulé.e.s par l’arrivée du printemps, la saison où tout bourgeonne et naît et éclot. Cette semence qui éclate en elleux, c’est le désir, la sexualité, la découverte d’un corps aux milles possible. Et puis il y a cette forêt, ce lieu de risques et de liberté; d’ombres et de découvertes. Ils y feront leurs premiers pas avec maladresse et sincérité; fougue et respect.
L’éveil du printemps, c’est un manifeste à la sexualité positive, c’est une fête érotique et drôle, légère et sérieuse par moments, à l’image de la jeunesse. Parce qu’entre les corps qui changent et qu’on ne comprend plus, les amitiés où tout se jouent du haut de nos 14 ans, le monde en feu qu’on est forcé.e.s d’appréhender, les apprentissages, les amours, les ambitions : passer la puberté, ça mérite un trophée.
L’une des protagonistes a envie de parler de son orgasme à la classe, mais ce dernier est jugé trop vulgaire pour être public.
Tout comme le sang qui coule entre ses jambes, bien qu’elle soit forcée d’en voir partout dès qu’elle ouvre la télévision, feuillette un journal, regarde YouTube. Elle se demande pourquoi on l’a seulement mise en garde de la violence et la peur, les grossesses, les maladies et la douleur, mais pas du plaisir et de l’épanouissement que peut la sexualité. Une autre protagoniste se fait mordre par un ours, dans la forêt, alors qu’elle marche seule. Le juge se contentera de lui demander ce qu’elle portait et si elle avait bu.
L’un de leurs compagnons bande sur Jeff Bezos.
La pièce tisse un portrait de la masculinité intrinsèquement liée au capitalisme, à la destruction de l’environnement et à la santé mentale. Parmi tout ça, les parents font de leur mieux pour protéger leurs pousses, mais se retrouvent tout aussi désemparés qu’elles lorsqu’il est question d’hormones et de libido.
Il y a des choses qui ne changent pas.
L’éveil du printemps a d’abord été écrit par Frank Wedekind en Allemagne il y a plus de 100 ans. D’abord censurée, l’oeuvre dénonçait l’hypocrisie bourgeoise et l’éducation sexuelle des jeunes qui brillait par son absence.
David Paquet, par deux fois lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général, signe la réécriture qui prend vie sur scène cette année. Elle est ancrée dans son temps et choisit plutôt de mettre en lumière la surenchère d’images et de discours sur la sexualité. Plus de silence, mais la cacophonie. Comment se discerner?
L’éveil du printemps est une pièce résolument vivante, qui respire et exhale, qui fait sourire par son authenticité déstabilisante, son appel aux sens.
Parler de sexualité, ça passe forcément par le corps. Dans la mise en scène d’Olivier Arteau, les acteurices se lancent, frottent, embrassent, frappent, glissent, sautent, dansent, chantent, gémissent. À l’aide d’une pente au milieu de la scène, les personnages mettent en scène le vertige, le vacillement, le capharnaüm qui prend corps chez les adolescent.e.s à l’éveil de la sexualité.
C’est une pièce foncièrement drôle, profonde sous ses airs insouciants.
Elle est pour toutes les ménopausées, les filles qui aiment « trop » le sexe, celles qu’on force à se taire. C’est pour les nostalgiques, celleux qui se cherchent ou veulent juste se sentir compris.es. Pour se rappeler qu’il existe tellement plus de premières fois que celle où on fait l’amour. C’est peut-être la moins importante du lot.
Présentée au théâtre Denise-Pelletier, L’éveil du printemps demande : « Mais à qui sont nos corps, sinon à nous-mêmes? À quelles saisons doit-on consentir pour s’appartenir pleinement? » Nous sommes peut-être toujours étranger.e.s à ce corps qui désire et gronde; se rétracte ou se cache. Il faut donc aller à sa rencontre, profiter, essayer, poser des questions, en parler.
L’éveil du printemps sonne à la porte pour nous.
Image de couverture via Théâtre Denise-Pelletier