Bientôt les grands froids tireront à leur fin, les températures vont graduellement s'adoucir. Ils auront, pour la plupart, survécu à un autre rude hiver. Mais quelques-uns ne verront jamais le printemps, pas seulement ici dans notre belle province, mais partout dans notre grand pays, des itinérants meurent de froid. 

Trop souvent ils meurent dans l’anonymat le plus complet, ignorés de tous. On les trouve au petit matin, recroquevillés, leur dernier geste de survie pour conserver le peu de chaleur qu’il leur restait, mais en vain. Mourir de froid n’est pas souffrant à ce qu’on dit.

Ce qui fait souffrir c’est la crainte que personne n’arrive avant que la mort ne vienne les faucher. 

Les refuges sont remplis, il n’y a pas assez de lits. Pour sommeiller à l’abri du climat assassin, il ne subsiste que les entrées d’immeubles, si elles ne sont pas barrées. Se réfugier sous un pont pour se cacher du vent, en souhaitant, peut-être même en priant que la nuit ne soit pas trop longue.

Tous les jours, ils passent inaperçus, personne ne les voit, ne les entend et ne leur parle. Mais on entend parler d’eux aux nouvelles de dix-huit heures, pour dire combien il est triste qu’un tel drame se produise chez nous en 2022. On a le cœur serré, pendant quelques minutes, quand on y pense et on retourne à notre routine. La terre ne cesse pas de tourner pour un quidam.

Ils sont l’enfant, le frère, la sœur, le parent de quelqu’un. Qui les pleure? Qui s'ennuie d'eux? Est-ce que quelqu’un sera là pour leur offrir des funérailles? Des obsèques, pour signifier leur présence dans le monde, l'importance, qu’on leur niait de leur vivant? Ou est-ce que leur décès sera à l'image de leur malheur ? Finir seul au milieu des autres, dans une fosse commune.

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Peut-être que quelqu’un entendra leur détresse, leur tendra la main et pourra les orienter vers une ressource où miraculeusement il y a encore quelques places de disponibles. Un lit libre, un repas chaud et une oreille attentive les attend. Pour la nuit ou pour quelques heures, peu importe, pour le temps qu’il faut pour se réchauffer.

Un moment, juste un instant pour être touché par un brin d’humanité. Pour se rappeler qu’ils existent encore. 

Pouvoir prendre une pause des vieux démons qui les habitent et qui se réveillent à la lumière des néons des enseignes des rues. Calmer son être, sa tête, ne plus penser, ne plus avoir peur, ne plus être seul. Ne pas avoir à quêter, à quémander. Être au chaud, sentir le confort d’un lit, des draps et des couvertures chaudes et propres, un luxe rare, inexistant quand on vit dans la rue. Pour un moment, ils peuvent se rappeler qu'ils sont bien vivants et qu’ils ont droit au respect et à la bienveillance. 

La lune va terminer son quart de nuit et laisser peu à peu la place au soleil. Il est tôt, les refuges se vident. Une autre journée commence, le froid est mordant. Certains vont tenter de calmer leur état de manque alors que d’autres tendent la main pour un peu de change. Les itinérants reprennent leur routine, retournent où ils passent toutes leurs journées, à côtoyer d’autres sans-abris. Le non-regard des gens trop pressés ne manquera pas de leur rappeler qu’ils ne sont pas beaux et qu’ils sont de trop dans le décor de la ville. En une nuit, leur vie n’a pas changé, mais ils sont vivants. L’hiver n’est pas terminé et d’autres nuits incertaines sont à venir, mais pour aujourd’hui, il y a l’espoir du printemps.

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