** Traumavertissement: Suicide, violence physique. Des ressources d’aide sont listées à la fin de cet article.
Chaud, plus chaud. Tu regardes l’eau ruisseler sur ta peau déjà rougie par la température élevée, mais tu as l’impression qu’elle n’est toujours pas assez chaude pour te laver de tout ce que tu viens de vivre. Tu n’arrives pas à faire le vide dans ta tête et pourtant, te mettre sous la douche fonctionne assez bien normalement.
Cette fois, ce n’est pas une situation comme les autres : tu n’arrives pas à gérer la crise d’anxiété que tu es en train de vivre. Tu as beau te mettre la tête sous le jet bouillant de la pomme de douche, l’eau n’arrive pas à étouffer les voix qui crient dans ta tête. Le shampoing que tu as mis dans tes cheveux n’est pas venu à bout des horreurs qu’il y a à l’intérieur de ton crâne, et ce, même si c’est écrit sur la bouteille qu’il agit et reconstruit en profondeur. Le revitalisant que tu as soigneusement appliqué, de la racine jusqu’aux extrémités, ne les adoucit même pas.
Le savon que tu as passé sur ta peau n’a pas non plus réussi à enlever l’étiquette que l’on vient de te coller. Tu décides de te démaquiller, mais tu as tellement pleuré qu’il te reste autant de résidus de mascara sur le visage qu’il te reste de fierté dans toutes les onces de ton corps.
Tu t’assois dans le fond de la douche parce que le poids de l’humiliation est trop lourd à porter. Sans même t’en rendre compte, tes fesses bouchent le drain d’évacuation. Oui, ce même fessier qui a engendré tant de commentaires au cours des dernières heures empêche l’eau de s’évacuer. Elle commence à monter et tu baignes dans l’eau souillée de tes malheurs. Tu commences à penser que tu aurais dû prendre un bain à la place d’une douche, question de relaxer davantage, la tête posée sur le rebord de la baignoire. Tu penses que d’immerger ta tête entièrement sous l’eau aurait peut-être réussi à faire taire tout ce petit monde, mais si cela s’était avéré véridique, tu n’aurais pas voulu remonter à la surface. Tu rêves du vide, du silence : de ne plus entendre les idées suicidaires se frapper aux murs que tu as érigés autour de toi à force de refuser de l'aide. Tu te serais laissée couler comme un coquillage vide au fond de l’océan. Océan, froid et immense. L’immensité serait parfaite pour toi, pour ton âme solitaire en quête d’anonymat.
Ton visage est un mélange entre eau salée et eau douce. Tes mains commencent à être ratatinées, mais c’est la première fois depuis des heures que tu arrives enfin à calmer la tempête qui fait rage entre la panique à laquelle tu tentes de ne pas céder et ton côté rationnel qui essaie de te dire que les perturbations causées par les idées suicidaires ne sont que passagères.
Tu te déplaces à l’autre extrémité du bain et allonges tes jambes. Ces mêmes grandes cannes qui ont fait en sorte que ta robe a paru plus courte qu’elle ne l’est en réalité. Les larmes noient à nouveau tes yeux dans un élan de chagrin et tu tentes tant bien que mal de contenir cette nouvelle vague de tristesse. Tu les savonnes l’une après l’autre et attrapes le rasoir : tu le déposes près de ta cheville et le remontes jusqu’au genou. Tu fais ce geste machinalement alors que tu sais très bien que tes jambes ont été soigneusement rasées avant toute cette dégradation. En voulant le reposer sur le bord de la baignoire, tu t’entailles le doigt sur la lame fraîchement changée. Tu regardes la goutte de sang tomber sur le blanc immaculé de la porcelaine dans laquelle tu es assise avant que celle-ci ne disparaisse sous le flot constant de la pluie domestique.
Tu passes ton doigt entaillé sur tes hanches couvertes de cicatrices. Pour toi, elles sont les marques du temps pour signifier que tu as survécu aux épreuves de la vie, mais tu sais très bien que l’automutilation est un comportement destructeur. Tu as travaillé sur cet aspect de ta personne pendant de nombreuses heures avec ton psychothérapeute. Tu ne veux pas risquer une récidive, mais Dieu sait que ce soir, cette souffrance physique pourrait probablement t’aider à supporter le châtiment psychologique qu’on t’a imposé.
L’eau est de plus en plus froide. Tu penses à ce qui pourrait te réchauffer. Ses bras, oui. La seule chose que tu souhaites c’est de pouvoir t’y réfugier, mais il y a longtemps que tu n’as plus l’occasion de le faire. Rien au monde ne pourra remplacer ce sentiment, cette sensation physique de protection. Lorsqu’il les enroulait autour de toi, tu savais que tu pouvais pleurer toutes les larmes de ton corps en toute intimité, sans jugement. Tu te retrouvais alors dans une bulle de chaleur réconfortante. Il te demandait souvent de le regarder dans les yeux pour lui expliquer la raison de ton chagrin, mais jamais, du moins d’aussi loin que tu arrives à te rappeler, il en a jugé la cause. Il restait là, avec toi, pour te consoler. Parfois sans même prononcer un traitre mot pendant des heures.
Tu réalises à quel point il te manque. La vie est difficile sans lui à tes côtés pour affronter les tours de force qu’elle t’envoie sans répit. En vérité, elle est surtout pénible parce que tu te bats toute seule, sans personne sur qui te reposer quand tu es à bout de force. Un câlin te ferait le plus grand bien, te donnerait le courage dont tu as désespérément besoin. Dans un sanglot, tu places ta main gauche sur ton épaule droite et ta main droite sur tes côtes gauches. Tu essaies de te serrer fort, mais en plus de ne procurer aucune sensation de plénitude, tu te sens ridicule à un point inexplicable d’avoir pensé que cette action allait pouvoir te faire ressentir un peu de chaleur humaine.
L’eau est glaciale, plus d’eau chaude du tout. Tu réalises que cela fait un moment que tu es sous la douche, il est temps de sortir. Tu rinces tes larmes une dernière fois avant de couper l’eau. Tu tasses le rideau et attrapes une serviette. La tête penchée par en avant, tu l’enroules autour de tes cheveux mouillés pour les contenir. Tu passes tes mains sur ton cou pour dompter une mèche rebelle. Ton cou : tu prends conscience à l’instant à quel point il est petit et délicat. Fragile. L’idée d’avoir trébuché dans les escaliers en escarpins et en robe de soirée serait plausible comme explication pour un accident volontaire. Le cou cassé après une violente collision entre deux objets suite à une chute, c’est quelque chose de commun dans les romans policiers ou dans les films d’action. Tu pourrais quitter ce monde en étant jolie au moins. Couvertes d’ecchymoses certes, mais jolie quand même. Tu te dis qu’il y aurait moins de traumatisme si cela pouvait avoir l’air d’un accident, que ce qui te reste de famille et d’amis n’aurait pas besoin de te trouver quelque part dans un coin sombre pour ensuite avoir la lourde tâche de te décrocher.
Tu as connu un suicide toi aussi. Plusieurs ont croisé ton chemin en réalité. C’est réputé apparemment : les artistes n’ont pas juste la fibre artistique, ils ont la fibre dérangée aussi. Les médecins mettent souvent cela sur le dos de dépression non diagnostiquée. Masquées par l’art et dans l’art peut-être, mais n’est-il pas le reflet de l’artiste lui-même? Miroir, miroir, dis-moi qui a le plus d’idées suicidaires. Toi. Oui, toi.
Tu es perdue entre les notions composant le terme de culture du viol. Tu comprends qu’une longue paire de jambes peut faire paraître une robe quelques centimètres trop courte, mais tu n’arrives pas à te rentrer dans la tête qu’il n’y a pas de conséquences plus graves autres que la perte de ta confiance en toi, ton sentiment d’humiliation ainsi que la honte grandissante qui te pousse vers des idées suicidaires. Idées suicidaires, planification de suicide, dépression. Tu comprends que tout cela est lié, tu as déjà peur pour ta santé mentale de demain parce qu’elle a été considérablement fragilisée par tous les propos dont tu as été l’objet. Objet, femme, femme-objet. C’est comme cela que tu t’es sentie ou du moins comme cela qu’ils t’ont fait sentir. Debout, nue, tu fixes le reflet que le miroir te renvoie. Tu y vois une femme faible, un visage enflé par la peine et des yeux vides.
Le téléphone sonne. Tu as besoin d’un peu de temps pour réussir à t’extirper de tes pensées. Tu marches péniblement vers la sonnerie de ton cellulaire : un pas devant l’autre et surtout un pas à la fois. Tu réponds d’une voix sèche, mais tu n'écoutes pas. Tu as assez de tes problèmes, de gérer tes propres idées suicidaires. Tu n’as aucune envie d'écouter ceux des autres.
Tu te rends compte que la sonnerie n'a toujours pas cessé. Tu réalises qu'il s'agit d'une alarme, un son strident que tu n'as pas activé. C'est lui, tu en es certaine : il t'envoie un signe. Tu parles dans le vide, mais toi, tu le sais que c'est à lui que tu parles. En consultant le réveil-matin, tu constates qu’il est encore plus tard que ce que tu croyais. Tu as perdu la notion du temps. La crise est passée. Tu le remercies à voix haute en doutant du fait qu'il puisse t'entendre. Le plus important, c'est que tu y crois parce que cette fois-ci, c'était vraiment une question de vie ou de mort...
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Pour terminer, si vous vous trouvez dans une situation semblable, ou avez un proche qui semble avoir besoin d’aide, n’hésitez surtout pas à aller chercher du soutien. Voici une liste de ressources qui sauront vous épauler.
Ressources
- Pour les jeunes, il est possible de clavarder avec un professionnel de Tel-Jeunes par courriel, ou par téléphone en composant le 1-800-263-2266
- Pour tous, il est possible de communiquer avec Tel-écoute par téléphone au 514-493-4484
- 1 866 APPELLE (277-3553)
- Association québécoise de prévention du suicide
- Si tu as des idées suicidaires ou que tu es en crise, n'hésite pas à demander de l'aide