D’abord, une mise en garde : la sexualité peut exciter, certes, mais elle peut aussi troubler. Certaines scènes seront pures fictions jouées, tandis que d’autres seront des tableaux réellement performés. Il incombe au spectateur de jouer avec ce flou, d’en faire ce qu’il veut. Ce spectacle se veut une allégorie érotique. Un espace de décolonisation et d’émancipation de la sexualité devant un public voyeur et/ou mouillé. La voix anonyme qui retentit au théâtre Espace Libre met la table pour les Érotisseries et ce sera un festin. 

Elles sont au compte de trois même si, au départ, tout porte à croire qu’elles pourraient être une dizaine d’interprètes tellement elles occupent plusieurs rôles différents. Le premier tableau s’ouvre sur une paire de jambes exposées vers le ciel. Une rose voit le jour au creux des cuisses. Une faucheuse nue, à l’instar d’une cagoule pour cacher sa tête, la cueille. C’est le tout début : la pointe de l’iceberg qui apparaît, écarlate, entre des jambes anonymes. 

Ensuite, les tableaux se succèdent, véritables toiles vivantes, œuvres de chair dans ce cirque érotique débridé. L’une joue avec le feu, le crépitement se fait insistant, la brûlure est douce et la chaleur est ailleurs qu’au creux des flammes. Sa délicate robe blanche n’est pas synonyme d’innocence. L’autre, toute vêtue de cuir, corset, fishnets et talons vertigineux, brille avec sa tête abat-jour. Une femme-lumière. Tour à tour, elles se dévêtent, grimpent, dansent, se brûlent, tournoient sous les yeux d’un public qui ne sait plus où donner de la tête, qui se demande quels tours elles ont encore dans leur sac. Il est toujours plein.

Les ombres dansent sur leurs corps musclés, jambes, seins, bras, ventres, mains, nuques. Elles s’attachent, se pendent, se tirent, se tortillent. Elles sont en parfait contrôle. Elles décident. Il est parfaitement délicieux de voir ces femmes se prendre en charge, dominer les spectateurs inconfortables, excités, ébahis. Éliane Bonin, Catherine Desjardins-Béland et Marie-Christine Simoneau sont des déesses.

Photo par Hugo St-Laurent

Les Érotisseries sont un manifeste du plaisir et du jeu

Entre les mains des artistes, jouir librement est une révolution en soi. Un acte de rébellion, peut-être. Je pense qu’elles ont raison. L’œuvre des créatrices et interprètes invoque la jouissance et le sexe comme on le ferait un dieu. L’orgasme : une prière. La masturbation : une méditation. Se sentir dans son corps, réellement, dans un monde qui nous pousse plus souvent à l’engourdir. 

Le spectacle est une ode à nos corps humains qui peuvent jouir, seul ou en groupe, d’une manière décloisonnée et bienveillante. Ce sont les cordes, les fouets, les laisses, la douche téléphone, les lap dances, le pole dancing, la domination, les jouets. C’est le désir, la séduction. Aimer et être qui l’on veut sur le moment sans avoir à briser de codes, car dans le meilleur des mondes tout serait éclaté : ne resterait que le corps et le jeu. Tout simplement, mais toujours dans l’empathie. 

Les Érotisseries sont un hymne à la féminité

À la femme multiorgasmes qui a donné son corps à la nation, à la famille. Éliane Bonin dit se masturber pour ses grands-mères, pour les sorcières brûlées vives sur le bûcher par des hommes qui craignaient leur sensualité. Éliane Bonin touche son corps en s’imaginant des alternatives au capitalisme. Elle déclame qu’avoir un orgasme ne détruit pas les forêts, ne tue pas les tortues. Peut-être que ça sauve le monde. L’intime est politique.

À une époque aussi hypersexualisée que profondément pudibonde, d’une violence inouïe, où les hommes tentent, encore et toujours, de garder le contrôle sur le corps des femmes, cet hymne brillant et drôle au corps et ses potentialités arrivent comme une bouffée d’air frais. Les Érotisseries permettent de flotter dans l’éros pendant que s’accomplit le fantasme des créatrices : le spectacle en soi. Que le spectateur soit voyeur et pervers ou prude et chaste, les interprètes jouissent de se sentir sur la scène, d’avoir les yeux sur elles, d’être sous les projecteurs. 

Quelque part entre eau, feu, air et terre

Entre les fluides du corps, la vague de jouissance qui monte et redescend, la chaleur et la sensualité des flammes, le vent qui siffle et le corps organique, instinctif, mammifère; quelque part entre tout ça se joue le génie des Érotisseries. Car c’est précisément ce qu’il reste, le jeu. Outre la furie, l’idéalisme, l’injustice, reste le jeu pur. Le plaisir de jouer avec les autres, de s’amuser juste parce qu’on le peut, d’expérimenter, se tromper, en rire, recommencer, découvrir, apprivoiser. Effleurer, mordre, lécher, goûter, déguster, agripper, pincer, rire. Toutes ces choses qui nous permettent d’être réellement vivants. Ou peut-être est-ce quelque chose de plus, que la vie, encore. La petite mort.

Les Érotisseries est un spectacle humoristique et sensuel absolument brillant qui mérite d’être vu par tous : de tous âges, tous genres, tous horizons. Jusqu’au 21 mai au théâtre Espace Libre.

Image de couverture via Espace Libre
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