Au début, presque rien, sauf une petite maison illuminée sur la scène vierge.

Tout s’y jouera, mais le public ne le sait pas encore.

C’est l’histoire d’un prof de littérature au secondaire. Exaspéré par cette jeunesse qui ne pourrait pas moins se préoccuper des grands poètes, il corrige leurs copies avec indignation. À voir son mépris, on se dit qu’iels ont raison de ne pas être intéressé.e.s par sa matière.

Ça changera, mais le public ne le sait pas encore.

C’est l’histoire d’un professeur cynique et découragé par les productions écrites d’adolescent.e.s, sauf une. Une, sur le lot, qui trouve les mots qui l’amusent, qui l’accrochent. Claude est un étudiant discret, il s’assoit dans la dernière rangée. Mais la fougue et la verve de son écriture le feront se démarquer du lot de textes insipides produits par ses camarades.

Le devoir était pourtant anodin : écrire ce qu’iels ont fait durant la fin de semaine. Implicitement, le professeur demande à ses élèves de fictionnaliser leur vécu. De prendre le matériau réel de leurs vies et de le transposer en mots, en images, en récit.

Peut-on en vouloir alors à Claude d’avoir brouillé les pistes? Car ce qu’il a fait de sa fin de semaine, c’est aider un de ses camarades avec ses devoirs chez lui. Et d’avoir fait le tour de la maison. Seul. D’y avoir observé la vie des parents de son ami à leur insu. C’est ce qui a piqué la curiosité du vieux professeur. Une fascination perverse pour une famille banale, un père magouilleur, une mère absorbée par ses catalogues de décor et un fils fan de sport pas très bon en maths.

Claude aurait-il tout inventé?

Le professeur, un auteur raté, verra dans la plume de son élève le potentiel de devenir mentor. Il nourrira ses incursions dans la maison par des commentaires et des conseils sur l’écriture, afin d’arriver à une fin imprévisible et pourtant inévitable. Tour à tour, les personnages de l’histoire se retrouveront dans les mailles d’une histoire dont iels ignorent l’existence. Alors que Claude écrit, l’histoire est rejouée simultanément devant le public. Le récit se construit et se déploie au même moment, dans un dispositif scénique intelligent. L’imbrication du récit et de la « vraie vie » est brillamment soutenue par la distribution.

Une question de morale

Le garçon de la dernière rangée pose plusieurs questions éthiques sur la création. Jusqu’à quel point peut-on utiliser la vie d’autrui comme matériau littéraire? Est-ce immoral d’utiliser, voire de manipuler, de vraies vies pour créer une bonne histoire? Peut-on faire dire n’importe quoi à quelqu’un, au nom de l’art? Jusqu’où aller pour nourrir la fiction?

Comique avec une aura de mystère, cette pièce de Juan Mayorga, un dramaturge espagnol, aborde l’influence de l’écriture sur le réel. À travers la relation trouble qui s’installe entre l’élève et la maison de son ami, il devient évident que l’écriture ne laisse pas indemne. Bien qu’elle semble inoffensive, voire inutile, elle modifie les paramètres du réel pour le meilleur et pour le pire.

Le cadre délimité par la pièce offre le lieu d’exploitation parfait à la question du pouvoir de la création. Cette famille, normale à en être ennuyeuse, fascine le jeune Claude. Fin observateur, ce dernier vient abolir les limites entre sa création et le monde; entre lui et cette maison qui ne lui appartient pas; entre le récit et la réalité. Son professeur, gonflé d’orgueil devant l’importance que lui procure ce jeune étudiant, ne fait que le pousser vers le point de bascule.

La fiction est-elle basée sur la réalité, ou est-ce notre réalité qui est influencée par les histoires qu’on se raconte?

La scénographie est malléable et particulièrement bien exploitée avec ses bancs en bois et ses maisons miniatures. La mise en scène s’avère ingénieuse et polyvalente, délimitant l’espace de fiction et celui du « réel », ou les faisant se contaminer. Sous des allures de bazar anodin, ce n’est qu’au dernier moment que le public réalise que, tout au long de la pièce, la femme du professeur crée une galerie d’art sur scène. Elle y conviera les spectateur.ice.s, brouillant encore davantage l’espace de (re)présentation et le rôle du public dans sa construction.

Le garçon de la dernière rangée en rappel

Sous prétexte de raconter sa fin de semaine, le jeune Claude s’immisce dans une maison tout ce qu’il y a de plus normale où il y respire « l’odeur si singulière des femmes de la classe moyenne ». Sous son apparence banale, son écriture donne à voir les failles des masques léchés de ces personnages qui ont tout pour être heureux. Les décrit-il tels qu’ils sont réellement? Tout ce qu’il dit est-il vrai? Est-ce pertinent de le savoir? En s’immisçant dans le quotidien d’êtres à l’allure simples, mais pourtant complexes, l’étudiant taciturne dévoile une nature troublante en interrogeant les limites entre réalité et fiction.

Créée pour la première fois en 2000 et portée à l’écran par François Ozon en 2012, cette pièce de Juan Mayorga est de retour sur les planches en ouverture de la saison théâtrale du Théâtre la Licorne après avoir été jouée à Québec. Jouée jusqu’au 14 septembre, Le garçon de la dernière rangée est une production du Théâtre Niveau Parking en codiffusion avec La Manufacture. Elle aura valu à ses deux metteur.euse.s en scène, Marie-Josée Bastien et Christian Garon, le Prix de la meilleure mise en scène remis par l’Association québécoise des critiques de théâtre en 2023.

Image de couverture via Théâtre La Licorne
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