J’ai cicatrisé, certes.
Mais j’ai encore l’âme criante et froidement mutilée. Mutilée par tous les mots cruels et salauds que seules les lèvres inconscientes prolifèrent. Des lèvres sans couleur ni saveur. Le cœur en quarantaine. L’esprit évadé de ma chair.
Je ne suis rendue qu’un quart de femme.
Un quart poussiéreux de douloureux souvenirs.
Je ne savais pas que les souvenirs pouvaient nous abattre, encore et encore. Les traits durs de ton visage habitent tous les cadres dorés de ma petite maison blanche. Celle au bord de la rivière. On n’y entend malheureusement plus le son des oiseaux par la fenêtre. Ils fuient ma douleur. Celle qui me hurle dessus avant de m’être levée le matin.
Les murs saignent. Mon lit m’avale. Ton amour à deux faces. Ton amour mitard. J’ai maintenant peur de mon propre cœur. De ses millions de morceaux étalés sur le plancher froid de la salle de bain. Sous la douche. Là où j’allais pleurer.
J’ai maintenant peur de mon propre cœur. Des échos infinis de son fracassement. La petite fille cachée sous ses draps ne sortira jamais de là. Car tu as implanté dans sa chambre, la noirceur qui s’éternise en plein jour.
L’amour-monstre.
Mon corps a cicatrisé, certes.
Mais je tremble encore devant ma beauté, ma fragilité et ma féminité. Qu’est-ce qu’être une femme? Tes injures, comme une couverture enveloppante autour d’un feu de camp. Pendant qu’on chantait, je m’éteignais.
On m’a appris à aimer. Mais jamais qu’aimer nous achevait, parfois. On m’a appris à donner. Mais jamais que donner nous poignardait, parfois. On ne m’a même jamais expliqué à reconnaître l’amour-hypocrite, l’amour-trompeur et l’amour-factice. Celui qui donne et enlève à la fois. Celui qui embrasse et cogne à la fois.
Je suis en colère. Je m’endors. Je suis épuisée. Il est tard. Les enfants dorment. Leurs lits les avalent, eux aussi. En fait, ils sont déjà avalés. La petite maison blanche loge une histoire bien sombre. Celle d’une famille dissoute et brisée par l’indifférence. L’indifférence des sensations, des émotions et des battements du cœur. L’indifférence des cris qui étouffent la lumière traversant les rideaux.
C’est barbare.
Tu es aveugle. Tu es sourd. Tu es inconscient. Tu es profondément malade. Tu ne connais pas la vie. Tu es mort, peut-être. Tu l’as toujours été. En dedans. Tu essaies de nous prendre notre souffle. On ne guérit pas d’une blessure comme celle-ci. On se réinvente. On change de peau. Tel un serpent. On brûle les draps. On réapprend à regarder, à marcher, à respirer, à aimer… Non, aimer, ce sera pour plus tard. Beaucoup plus tard.
Je m’endors. Je suis épuisée. Et maintenant. Comment pourrais-je enseigner à mes enfants l’amour alors que je ne sais même plus ce qu’il est ? Eux, mes enfants, tels deux réverbères dans la maison pleine d’obscurité. Pardonnez-moi mes amours. Pardonnez-moi. Maman et papa n’étaient pas tout à fait grandis lors de votre arrivée. Pardonnez-moi mes amours. Maman et papa sont bien dépouillés face à vos cœurs.