Hier, je regardais La belle et le clochard confortablement assis sur le divan avec mon fils.

Ah, non. C’était plutôt il y a 14-15 ans. 

Mais c’est comme si c’était hier tellement j’y repense souvent. 

Il avait 6 ans, il en a aujourd’hui 20, presqu'à veille d’avoir ses 21.

Durant le film, pendant la scène d’amour classique où la Lady et le chien errant se retrouvent gueule à gueule après avoir avalé le même bout de spaghetti, j’ai à ce moment précis totalement décroché de l’écran. Pas que cette scène classique me déplaisait, loin de là, mais celle à laquelle j’ai assisté était encore plus belle. Sa face remplie d’artifices valait à elle seule la meilleure scène de tous les films de Disney réunis. Son visage s’est transformé.

Assis sur le divan, son menton sur ses genoux repliés et ses épaules qui recouvraient presque ses p’tites oreilles pas tellement difficiles à couvrir. Et là, sans qu’il ne sache que le comble de mon émotion venait de céder sa place au débordement et qu’elle n’était pas prête pantoute à entendre ça, il s’est tourné les yeux vers moi pis, le regard rempli de scintilles, les joues couleur « intérieur-fraise » et avec la même voix douce qu’il prenait quand venait le temps de me demander s’il pouvait reprendre un deuxième bol de crème glacée, il m’a dit, en levant les sourcils et avec un p’tit sourire timide :

« Y s’aiment beaucoup j’pense. »

J’ai craqué.

Tu venais à ce moment précis de découvrir l’amour. Pardon. L’AMOUR.

J’pense même que s’il existait un quota de tendresse pour une face, ben y aurait fallu que j’en enlève.

Ma gorge supportait difficilement la boule qui venait de se pointer sans prévenir. J’ai essayé de ravaler le trop plein d’amour paternel qui tentait de remonter. Ç’a pas marché.

T’as même arrêté de manger ton pop-corn parce que la p’tite place dans ton bedon qui te restait venait d’être remplie par cette belle émotion. Pis pour que toi t’arrêtes de manger du pop-corn…

Dans ton ton de voix j’ai aussi entendu la curiosité, la hâte pis aussi un genre de « C’est quoi ce sentiment bizarre et incompréhensible là? ». J’ai trouvé ça beau. Beau comme un ciel plein d’étoiles, couché sur un hood de char à les contempler, un soir où les Canadiens gagneraient la Coupe Stanley début juin, mettons. Ça c’est mon beau à moi. Pis pas n’importe quelles étoiles là, celles qu’il y avait dans tes yeux ce soir-là.

Ça c’est l’amour, mon p’tit homme, l’amour que j’aurais eu envie de t’expliquer à ce moment si ça n’avait pas été du fait que t’avais seulement 6 ans et que j’avais arrêté de respirer pour ne pas te déranger dans ton moment de prise de conscience.

T’en vivras plein d’amours et ils seront tous différents les uns des autres. Certains amours seront de ta vie alors que d’autres seront impossibles, c’est comme ça. Y aura celle avec qui tu voudras finir tes jours en te berçant et en vous rappelant chacun votre tour de ne pas oublier de prendre vos pilules, mais qui te dira bien avant que finalement « elle n’est pu sûre de ses sentiments ». Ça voudra dire de façon indirecte : « Ch’t’aime pu. »

Toi aussi, tu feras probablement du mal à quelqu’un. Pis faire du mal se résume aussi simplement à ne pas aimer amoureusement quelqu’un qui voudrait seulement que tu y fasses une p’tite place dans ta vie.

L’amour est plein de surprises.

Tu vas te surprendre à faire des affaires que t’avais jamais pensé faire pour quelqu’un. Des gestes que tu trouvais ben niaiseux y a pas si longtemps avant. Tu vas le vivre toi aussi, l’amour qui ne s’explique pas mais qui se vit, qui se ressent et qui agit. L’ennui d’elle qui tue, le volcan dans l’estomac pis la pensée du « pourquoi tu l’as pas rencontrée avant ». Le genre d’amour qui donnera enfin un sens à toutes ces phrases quétaines que t’auras entendues dans les chansons jusque-là, et qui fera que toi aussi tu voudras lui jeter des sorts pour qu’elle t’aime encore…

En une fraction de seconde, tu venais de comprendre que cet amour-là était pas comme les autres parce que le sentiment « aimer », tu le connaissais déjà. Mais t’as constaté que celui que tu venais de découvrir n’avait rien à voir avec celui qui te fait aimer papa, maman, les sandwichs aux œufs ou ton p’tit chien en peluche beige que t’as nommé Jacques Martin. (Ouin… demandez-moi pas d’où ça sort c’te nom-là de l’ancien coach du Canadien pour nommer son toutou, je ne saurais pas quoi vous répondre, mais c’est resté pis chaque fois que j’allais le border ben fallait que je fasse une colle pis que j’embrasse Jacques Martin…)

Ta p’tite phrase toute simple m’aura fait rapidement penser à tout ça. Je ne t’ai évidemment rien dit à ce moment pis je sais qu’il était trop tôt pour te donner ma façon de voir ça mais je te projette déjà dans l’temps, c’est plus fort que moi. J’voudrais éviter que t’aies mal. C’est impossible j’sais ben, mais j’serai là. J’serai là aux multiples échecs qui te rendront plus fort et qui te feront réfléchir. Ils seront très utiles, ces échecs que j’te souhaite. À trop l’avoir facile, on a l’appréciation pas mal moins élevée.

Et sans avertissement, avant même que le film finisse, tu t’es levé et t’es parti jouer.

Voilà. C’est ça.

Des fois, l’amour, tu le rencontres, le réalises et le vis. Tu penses que tu l’as enfin trouvé.

Et des fois, t’es aussi bien de te lever et d’aller jouer ailleurs.

Merci mon p’tit gars. Tu m’enseignes encore chaque jour pis tu l’sais même pas.

J’te souhaite un jour de la rencontrer. 

La rencontrer ta Belle à toi mon Beau.

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