Une phrase, un événement peut changé une vie. Pour moi ça aura été un lieu. J’ai accepté de relever un défi professionnel dans le plus grand centre hospitalier du Québec. Cette étape de ma vie allait m’amener à déambuler à travers les cancéreux, les grands brûlés et tous les drames que la vie apporte aux moins chanceux d’entre nous.
En un mois, une histoire s’est bâtie dans ma tête, devenant une maison au haut de la falaise, celle qu’on ne peut ignorée. Un jeudi je me tenais à côté de civières allant et venant, une transition pour des examens d’imagerie, là où les médecins cherchent les réponses et cette femme est apparue. Une infirmière est venue l’informer que son examen était annulé. Je revois sa confusion, sa frustration, ça retardait son retour à la maison. Sur le coup je me suis moi-même questionné sur le manque de tact de cette annonce. Plus tard mon collègue est venu m’expliquer que lorsqu’un examen est annulé et non remis, c’est que le médecin a constaté qu’il était trop tard.............
Et s’arrête ici le combat. Et s’arrête ici l’angoisse de rentrer à la maison, elle n’y retournera pas. S’arrête ici, les remords ou les regrets ou les deux. Elle allait apprendre dans quelques heures que seul le temps qui reste allait compter.
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Et je l’ai revue... aux soins palliatifs un peu plus tard. Seule. Chambre 814. Elle mangeait une soupe avec appétit. J’ai ralenti pour la regarder, le temps que mes yeux se remplissent d’eau, le temps de comprendre qu’on peut encore avoir faim alors que la vie nous fait ses adieux. Le lendemain matin, j’ai reçu la liste des chambres disponibles pour les travaux. Vous me voyez venir, je ne vous surprendrai pas. 814 était en haut de la liste. Des préposés s’affairaient à nettoyer la chambre pour la prochaine personne désignée par la vie. Il y a apparement une file d’attente aussi pour la mort.
Madame, merci. À travers votre épreuve, vous m’avez apporté beaucoup et vous ne le saurez jamais. La vie ne se regarde qu’avec le coeur. Vous avez quitté votre tête ce jeudi-là. Vous avez décidé que cette soupe d’hôpital allait devenir bonne malgré que ma tête en doute, mon coeur comprend. Je me souviens de vous madame, de vos yeux, de vos mains, de votre corps frêle. Je dois vous avouer, madame, que si je vous avais croisée sur la rue, je ne vous aurais pas remarquée, mais que ces trois fois où je vous ai croisée, je vous ai trouvée magnifique. La troisième fois vous étiez si légère, que seuls mes frissons m’ont dit que vous étiez là. Je pense à vous souvent madame. Même si je ne vous connais pas. Vous êtes ma plus courte histoire d’amour, vous êtes l’inconnue qui est venue changer ma vie. J’ai le droit de vous dire que je vous aime?