Le père du prince est mort. Mort? Oui. Assassiné? On y croit… Le prince, dévasté, se sent en décalage. Sans repères. Entre sa mère qui se remarie aussi vite qu’un dernier souffle, son oncle qui reprend le trône et la belle Ophélie dont le magnétisme n’a d’égal que les secrets qu’elle semble taire… Quelque chose cloche. Oui, quelque chose ne tourne pas rond ici. Et si c’était l’un d’eux, qui l’avait fait? Qui avait tué son père?

Par chance, les fantômes peuvent encore parler.

Librement inspiré d’Hamlet de Shakespeare, La vengeance et l’oubli met en scène l’abîme d’une psyché endeuillée, sombrant lentement vers la folie. Mis en scène par Olivier Kemeid, ce dernier a travaillé la pièce classique du dramaturge britannique en la croisant avec un essai de l’auteur Pierre Bayard, intitulé Enquête sur Hamlet : le dialogue de sourds. Dans son texte, Bayard met en doute l’hypothèse répandue que ce soit l’oncle qui aurait tué son frère. Même si le motif y est, Bayard met plutôt en relief un homme « sensible et sympathique, sincèrement préoccupé par l’évolution psychologique de son neveu, chez qui il repère des troubles d’identité ». En effet, ce neveu parle au spectre de son père et accuse un complot dont il n’a aucune preuve tangible.

Crédit: Frédérique Ménard-Aubin

Ce prince troublé, tourmenté, est interprété par Gabriel Lemire, complètement captivant dans ce rôle de fils vengeur, hanté par une voix qui n’est pas la sienne (ou peut-être que si, après tout). Kemeid a su resserrer la mise en scène afin de créer un portrait plus intime, plus épuré de la grande tragédie baroque de Shakespeare. Ne reste que cette interprétation en finesse, cette détresse, les secrets et les fantômes; le deuil et la mort. La filiation. Un fils qui perd son père. Un père qui perd son fils. Comment se quitter, comment se prouver que l’on s’est aimé? Ici, il n’y a plus d’actes, plus d’épées ou de château : que la peine immense d’un fils et les manières qu’il trouve pour lui donner corps.

Crédit: Frédérique Ménard-Aubin

Il y a d’abord le père, l’oncle, le fils et puis, elles : les femmes. Ce sera sur leur présence, douce, mais affirmée, que se fermeront les rideaux de La vengeance et l’oubli. Kemeid tisse un portrait de la mère et d’Ophélie tout autant nuancé qu’assumé. Elles ont des désirs, des besoins, des limites. Elles ne détourneront pas le regard au moment de les partager : « chacune porte un amour qui est critiqué, pointé du doigt et dévalorisé, mais qu’elles revendiquent et défendent à leur manière. Il s’agit de décisions et de relations qui leur appartiennent et dont elles ne rougiront jamais. »

Cette adaptation contemporaine (bien qu’autonome) d’Hamlet adviendra sur la scène du Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 11 mai prochain. Plongez-vous dans l’aura mystérieuse et sombre de La vengeance et l’oubli.
Crédit photo : Frédérique Ménard-Aubin
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