Savez-vous ce qui est dit lorsqu’on écrit « Grossesse obésité » dans la barre de recherche de Google ? Savez-vous ce qu’est le conseil principal de quasiment tous les articles ?

Assurez-vous d’avoir un IMC en bas de 30 avant de concevoir ou d’être enceinte.

Parce que, c’est bien connu, les gros ne devraient pas pouvoir se reproduire. Du moins, c’est ce qu’on semble dire.

Ma plus grande peur avant de tomber enceinte, c’était de vivre de la grossophobie médicale. J’avais lu avec attention tous les témoignages présents dans les highlights Instagram de Julie Artacho (je vous le conseille d’ailleurs, si ce n’est que pour être au courant de ce que les autres vivent).

Ma plus grande peur, maintenant enceinte, c’est de réaliser que toutes mes inquiétudes étaient fondées.

Super.

Lors de mon premier rendez-vous de suivi avec la médecin, que je n’avais jamais rencontrée auparavant, à la clinique de gynécologues de l’hôpital, elle m’a fait un PAP test. Rien d’anormal. Mais elle a attendu d’avoir les mains bien occupées dans mon vagin pour me dire que j’avais la maladie de l’obésité et qu’elle allait me recommander au CHUM, où ils se spécialisent dans les grossesses à risque pour les personnes obèses.

J’étais un peu sous le choc de me faire dire cela, les quatre jambes en l’air, dans une situation où j’étais totalement vulnérable et absolument pas dans mes moyens de poser plus de questions ou de dire quoi que ce soit. Il n’y avait pas place à la discussion, c’était ça qui était ça.

J’ai finalement eu ce rendez-vous, par téléphone, quelques semaines plus tard.

La personne à qui je parle ne m’a jamais vue et elle n’a en main que les informations ramassées lors de mon premier rendez-vous, avec quelqu’un que j’ai vu une fois dans ma vie. Elle a donc en main mon nom, mon âge, mon poids, ma grandeur.

Pas ma pression, pas mon nombre de semaines, pas mes résultats de tests sanguins.

Mais tout ce qu’il faut pour calculer mon IMC, cette mesure pas du tout désuète qui veut tout dire.

On m’avait dit que c’était une simple consultation, un suivi supplémentaire qui allait m’aider pour la suite de ma grossesse. Je me disais qu’on allait peut-être me prodiguer quelques conseils alimentaires et m’encourager à bouger (un autre cliché que gros = manger mal et ne fait pas d’exercice). Je n’étais pas chaude à l’idée, mais pour le bébé, je gardais l’esprit ouvert. Je pouvais peut-être être surprise.

Aujourd’hui, je ris jaune devant mes bonnes intentions.

On a commencé par me parler de haute pression et du danger que ça peut faire au bébé si ça mène à une prééclampsie. Elle dit qu’elle va me prescrire 2 aspirines par jour d’ici mes 36 semaines. Sans me voir. Sans avoir pris ma pression. Après tout, je suis grosse, ma pression doit être haute, non ? Je lui apprends que je suis déjà suivie par l’hôpital où je vais accoucher pour cela et qu’on m’a prescrit (après avoir pris ma pression) une alternance chaque soir de 1 et 2 comprimés d’Aspirine. La personne au bout du fil semble surprise et dit que je devrais en prendre deux, qu’il n’y a pas de danger.

Puis, il y a le fameux diabète de grossesse. Pour les personnes normales, ce test est fait entre la 24e et 28e semaine. Toutefois, je devrais passer un test de dépistage plus tôt. On s’entend que, je suis grosse, je dois m’attendre à en faire.

Elle parle également de l’accouchement. Celui qui sera certainement une césarienne, car je suis grosse. Et c’est connu, les gros font de gros bébés. Elle parle de l’épidurale, qui sera difficile à administrer dans mon dos. Elle parle de l’anesthésie. Que plusieurs hôpitaux refusent de prendre les femmes enceintes avec un IMC élevé, car ils n’ont pas l’équipement. Que la majorité des appareils ne sont pas adaptés pour nous ! Parce qu’on est une classe à part, apparemment. Des énergumènes qu’il faut cacher au plus profond du CHUM.

Elle passe à mes échographies, elles seront certainement difficiles à réaliser. Il faudra donc aller au CHUM, car leurs outils sont plus adaptés pour les personnes comme moi. Quand on a beaucoup de gras autour du ventre, c’est difficile de voir l’enfant, qu’elle dit. Le poids, c’est réparti différemment sur tout le monde. Il y a des gens qui ont plus de ventre, d’autres plus de cuisses, d’autres plus de seins. En sachant seulement mon poids, sans m’avoir vue, comment connaît-elle ma morphologie ? Comment sait-elle qu’une échographie se fera moins bien sur moi ? Elle n’en sait rien.

Cette phrase fait partie d’un discours informatif de première rencontre qui, je m’en doute, est fait à tout le monde.

Mais pourquoi ?

J’ai déjà eu 2 échographies. Une à 11 semaines et une à 13 semaines. Et tout s’est très bien passé. J’ai eu à tenir mon ventre vers le haut, afin d’avoir le champ libre pour bien avoir accès à l’utérus, mais c’est tout. Rien d’autre. Pas de commentaire sur le fait que c’était ardu. Et si quelqu’un est capable de voir un fœtus de 50 mm à 11 semaines, je me doute qu’il n’y aura pas de problème pour la suite des choses. Plus le bébé grossit, plus c’est facile de le voir. C’est un fait.

Et je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que, si je n’avais pas déjà eu ces deux échographies, j’aurais cru ce qu’elle disait. Mon ventre va m’empêcher de voir mon bébé. C’est terrible de penser ça. C’est terrible de dire ça à quelqu’un.

Et je sais que je ne suis pas la seule.

Qu’arrive-t-il à celles qui n’ont pas eu d’échographie ? Cette rencontre ne fait qu’ajouter un stress supplémentaire à un état où on te dit sans arrêt à quel point le stress n’est pas bon pour le bébé. Dans une première grossesse, on ne comprend tellement rien de ce qui se passe. La seule chose qu’on veut, c’est que tout aille bien. Dans quel monde est-ce que de nommer toutes ces complications, basées sur des stigmas, est censé aider ? Et aider qui ?

Je comprends que le poids est un facteur à risque. Je ne suis pas en train de dire que ce n’est pas le cas. Mais, comme dans plusieurs cas de grossophobie médicale, il sera bien de se faire examiner avant de se faire mettre dans une catégorie à part ou de tout mettre sur la faute de l’obésité.

La personne avec qui j’ai parlé était gentille. Ce qu’elle me disait ne venait pas avec de mauvaises intentions. Mais cela montre à quel point c’est ancré dans le corps médical et le monde qui nous entoure.

À la seconde où j’ai raccroché, je me suis mise à pleurer.

C’était plus fort que moi. J’étais tellement triste d’avoir eu au visage tout ce que j’espérais ne pas entendre. Tous les clichés. Tous les préjugés. J’étais tellement fâchée contre moi de n’avoir pas eu le courage de répliquer, d’expliquer, d’éduquer.

Aujourd’hui, je suis profondément en colère contre le système de santé. Celui qui ne dote pas tous les hôpitaux d’équipements de base pour des personnes qui méritent autant qu’une autre d’être soignées. Celui qui ne donne pas de cours à leurs médecins sur la manière adéquate d’interagir avec des patients. Et non pas de manière médicale, mais humaine. Et pas seulement sur « comment annoncer une mauvaise nouvelle ». Celui qui m’empêche d’avoir hâte à mes prochains rendez-vous de suivi de mon futur bébé.

Système, tu es brisé.

Source de l’image de couverture : Huffington Post
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