Île Soniq 2018: je suis dans la foule et j’observe une fille clairement pas à jeun. Elle danse sans lendemain et je me demande si elle va bien. Elle est seule. Où sont ses amies ? Sa bouche ne cesse de faire des tics et ses pupilles sont si dilatées que je n’ai pas besoin de me trouver près d’elle pour le remarquer. La drogue semble la frapper de plein fouet.
Je me retourne vers ma troupe : « C’est moi ou cette fille-là ne se rendra pas à la fin de la journée ? » On me répond avec un regard qui signifie « définitivement pas ». Un gars l’approche. Malgré ses lunettes, je vois clair quel est son état. La drogue se perçoit facilement. Il veut danser avec elle. La fille accepte l’invitation. Ça danse collés. Ça se frotte. Ça se met à s’embrasser. Je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain dédain lorsque je vois la langue des deux nouveaux tourtereaux le lier l’une à l’autre dans un bain de bave.
Le gars se tourne vers ses amis. Il est fier. La fille n’a personne avec qui célébrer sa conquête. Elle se met donc face à la scène et le rythme envahit une nouvelle fois son corps. Pourquoi est-elle seule ? Je n’arrive pas à concevoir que les gens qui l’accompagnaient l’ont simplement laissée vagabonder à ses aises sans s’inquiéter pour elle. C’est pourtant une règle non dite dans les festivals. Tu t’assures de toujours rester en groupe et tu ne laisses pas une personne seule longtemps.
Je les contemple se lécher le visage une fois de plus. La fille prend la main du gars et l’incite à la suivre. Ils iront probablement se trouver un endroit tranquille pour assouvir leurs pulsions. Le dégoût me reprend lorsque je me souviens de l’état des toilettes. Ce sont ces fameuses cabines bleues plus communément appelées en québécois des bécosses. Je leur souhaite sincèrement d’avoir un éclair de génie afin de ne pas poursuivre cette mauvaise idée qu’ils ont eue de vouloir aller plus loin qu’un échange de baisers.
Ils sont hors de ma vue. Je me concentre sur le festival. Je m’extasie à écouter la musique, je bouge à chaque variation de son et je réalise combien je suis bien entourée. Les gens sont libres de faire leurs propres choix, qui suis-je pour juger ces deux personnes ? Bien sûr, ma tête était remplie de questionnements, mais le sentiment qui m’habitait était l’inquiétude. Je m’interroge si demain, ils regretteront amèrement leurs actions.
Souvent associés à la drogue, les festivals québécois n’ont pas été le sujet d’une étude récente sur la consommation de ses festivaliers.ères. Selon l’article de l’Institut national de santé publique du Québec, la dernière fois qu’on a interviewé des participants.es de raves c’était entre 2002 et 2003. On avait constaté que 83,9 % des répondants.es disaient consommer « souvent » ou « toujours » des drogues. Pourtant annuellement, moins de 10 personnes sur 10 000 (soit 0,001 %) des gens sont arrêtées pour possession de stupéfiants. On explique ce chiffre par le fait que la police vise les trafiquants.es plutôt que les petits consommateurs.rices.
Enfin, cette année, vous me verrez encore danser jusqu’à l’aube dans les festivals et les after-hours. Mais cette fois, j’irai voir les gens qui me rappelleront cette fille. Je leur demanderai : « Est-ce que tout va bien pour toi ? »