J'ai été agressée. C'est bizarre parce que je ne l'ai même pas remarqué sur le moment. Je revenais de mon premier quart de travail. J'étais toute fière d'avoir trouvé mon premier job depuis mon arrivée à Montréal. C'était la fin de l'hiver. Je portais mes bottes et mon manteau d'hiver avec une robe noire et des collants. Je n'avais pas pensé à amener du linge de rechange. Je voulais juste sauver du temps pour rentrer chez moi. J'étais assise dans le métro. En face de moi, il y avait trois gars d'à peu près mon âge. Je n'y ai pas fait attention. L'un d'eux a levé son téléphone comme s'il répondait à un texto puis il l'a montré à ses amis qui riaient avec lui. J'ai réalisé trop tard qu'il avait pris une photo de mes jambes. À ce moment-là, il y a comme une peur qui grossit dans mon ventre. Je serre les cuisses. Les trois gars passent le reste du trajet à regarder la photo. Ils trouvent ça très drôle. Je descends à ma station. Sur le quai, des regards se tournent vers moi. Des hommes. Des vieux, des jeunes. Je me sens sale juste avec ces regards qui s'attardent sur mes cuisses. Je me sens nue. Très vite, la peur se transforme en colère. J'ai le goût d'écraser la face de ces petits criss-là dans un mur. D'arracher leur peau lamelle par lamelle. De leur crever les yeux et de leur sacrer un bon coup de pied entre les jambes.
Je prenais l'autobus et, dans la rue, j'ai vu un homme faire peur à une femme en s'avançant vers elle. Il a ri en la voyant courir puis il est tranquillement retourné s'asseoir sur son banc avec les autres messieurs qui riaient autant que lui. Alors que le métro quittait la station Berri-UQAM, j'ai vu une fille sur le quai d'en face se faire toucher les cuisses de façon insistante par un garçon. Assise sur mon banc de métro, un vieux monsieur s'est assis à côté de moi. Au début, ce n'était que nos coudes qui se touchaient puis, l'instant suivant, son coude était sur mon pubis. Une autre fois, un homme me demande mon nom. Je ne dis rien. Je m'assois le plus loin de lui. Il vient s'asseoir juste à mes côtés sans arrêter de me dévisager. Par chance, il était tellement saoul qu'il s'est endormi.
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À un moment donné, quelqu'un m'a conseillé d'arrêter de porter des jupes et de mettre des pantalons à la place. Ok, parce qu'en plus c'est de ma faute? C'est de ma faute si je me fais agresser dans le métro et même dans la rue? Je suis responsable des agissements de tous ces hommes? C'est moi qui ai demandé à ces jeunes de prendre une photo de mes jambes? C'est moi qui a dit au vieux monsieur de mettre son bras sur mon sexe? Belle logique de marde! Bel entretien de la culture du viol ça : mettre la faute sur la victime et non l'agresseur. C'est comme si je vous disais : Ah, tu as été tué par balle? Ben t'avais juste à ne pas être dans la trajectoire de la balle. Ce n'est pas de la faute du tireur. Il voulait simplement te tirer dessus, pas te tuer.
Votre pantalon, ce n'est pas juste un pantalon. C'est le symbole même de la mentalité de beaucoup trop de personnes dans cette société. Et, excuse-moi, mais un pantalon ne l'empêchera pas de bander et de se masturber contre tes fesses. Un pantalon n'est pas un moyen de protection contre tous les pervers qui traînent dans les lieux publics. C'est une protection pour votre conscience qui n'arrive pas à admettre qu'il y a un problème. Un problème qui ne vient pas de la femme.
Ce genre de situation arrive tous les jours. Toutes les femmes ont vécu au moins une fois ce genre d'agression. Mais nous sommes tellement habituées qu'on ne réalise pas que c'est une agression sexuelle. C'est rendu banalisé. Normal. Il faut simplement dire à l'homme d'arrêter. Il faut simplement s'éloigner. Il faut simplement l'ignorer. Il faut simplement vivre avec.
Comment est-ce que je suis censée me sentir en sécurité avec tout ça? On banalise l'horreur de la situation, on excuse les agresseurs et on accuse les victimes. On m'accuse d'être une femme qui porte des vêtements trop provocants. On m'accuse d'exagérer. On m'accuse de ne pas savoir faire la différence entre un accident à cause du déplacement trop brusque du métro et une agression. On me prend pour une conne. On me dit d'arrêter de mettre une jupe.
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Tout mon primaire, je me suis fait toucher la brassière par un petit garçon. Tout mon primaire j'ai essayé de faire comprendre à mes professeurs et mes monitrices que je n'aimais pas qu'il me touche. Aujourd'hui, j'ai vingt-deux ans et je me sens comme lorsque j'étais au primaire. Sauf que là, je n'ai plus de monitrices ou de professeurs vers qui me tourner. Dans la vie adulte, il n'y a pas de dirigeant responsable que tu peux aller voir pour parler de ton problème. L'homme ne sera pas puni s'il te touche les seins. Il va juste changer de station de métro pour aller se frotter contre une autre. Et tu te retrouves seule, humiliée de t'être fait agresser de la sorte.
En sortant de cette rame de métro ce soir, toute l'ampleur du problème me saute en pleine face. Ces trois gars-là m'ont fait comprendre qu'on est loin de se sentir en sécurité dans les transports en commun. J'ai le droit d'agir. J'ai le droit de dire non.
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