Avant, j’avais presque une vie correcte.  J’avais un travail acceptable, un appartement bien décoré avec des vrais rideaux, des passe-temps enrichissants sauf le vendredi pis le samedi soir et un chum qui m’aimait.  Vu de l’extérieur, j’avais, de façon générale, une vie que plusieurs auraient enviée.  Mais il manquait quelque chose à ma vie. Il me manque toujours quelque chose.  Et quand je m’en rends compte que ma routine devient un cercle vicieux, je pète une bulle pis je recommence mes conneries.  C’est comme si une boule de vide traînait à l’intérieur de mon corps sans que je parvienne à m’en débarrasser.  Quand le vide prend trop de place, je deviens dépressive et je me mets à vouloir tout changer autour de moi pour combler mes pensées noires de projets plus passionnants et d’attentes plus colorées qui effaceraient tout le gris qui pourri mes tableaux. Avec moi, c’est noir ou blanc. En deux ans, j’ai déménagé cinq fois, j’ai changé à deux reprises de programme d’études sans jamais parvenir à récolter le moindre bout de diplôme, et j’ai eu cinq jobs, passant de serveuse à décoratrice, à coiffeuse à éducatrice.  Mais dans toute ma folie des hauteurs qui m’infligent les vertiges, parmi mes manèges qui tournent plus vite que je n’arrive à les suivre ou mes directions cul-de-sac qui mènent nulle part,  je me suis jamais autant perdu que la fois où j’ai réalisé que c’était de ma faute si j’avais perdu mon amoureux, celui qui me faisait l’effet d’une Gravol lorsque mes décisions chaotiques et bordéliques s’éparpillaient à travers mon quotidien qui finissait toujours par me donner la nausée.  

C’était mon voisin de haie de cèdre, mon meilleur ami depuis la dernière décennie, mon sens de l’humour, mon copain des beaux jours, ma flashlight dans le noir.  Je sais, écrit avec ces mots-là,  je vous donne quasiment l’envie de croire qu’on était juste un beau cliché quétaine, mais en vrai, notre relation était toute sauf romantique.  Non.  Avec moi, le temps est soigneusement calculé avant ma prochaine fin du monde, où mes pensées obsessionnelles me prennent en otage et se bousculent à la vitesse où mes «je t’aime» se déforment en «j’t’hais», et ce, peu importe ce que je peux posséder dans le cœur.  Quand j’atteins ma limite d’intimité avec l’amour, je me donne comme mission de tout faire exploser pour me protéger de la peine que je pourrais ressentir si on m’abandonnait en premier.  Inconsciemment, je veux qu’on se détache de moi pour devenir inatteignable, et acquérir assez de distance pour être safe émotionnellement.  C’est con, je sais. Mais c’est plus fort que moi.  Je deviens folle.  Je suis psychologiquement incapable de vivre une relation normale.  Je pète des coches pour un rien, j’analyse tout de A à Z, les gestes, les mots, un battement de cils.  J’épuise tout soupçon qui me ferait douter des vrais sentiments des autres vis-à-vis moi.  Une paranoïaque qui s’imagine toujours le pire.  Je cherche en permanence des bibittes imaginaires qui prouveraient  qu’on m’aime pour les mauvaises raisons.  Ça, c’est sans compter mes sautes d’humeur, mon irritabilité qui me transforme d’amoureuse à tueuse à gages, mon insécurité qui m’empêche de faire confiance; pourquoi on m’aimerait?  Mon impulsivité d’adolescente et mes déprimes quotidiennes à la Margot Tenenbaume.  Et malheureusement, derrière toutes les facettes monstres qui me prennent d’assaut, j’aime sincèrement.  Sauf que mon amour, c’est comme une belle pomme rouge trempée dans du cyanure.  En apparence, j’ai l’air inoffensive, mais à l’intérieur, je suis toxique.  Dans le fond, je suis peut-être la sorcière dans Blanche Neige, ou juste Borderline. 

« Le patient borderline ne désire que ce qu’il a peur de perdre, et rejette ce qu’il a quand il l’a par peur d’être envahi (intrusion) ; il cherche à obtenir la distance psychique idéale pour ne pas être détruit par l’autre. » 

Borderline.  C’est le pronostic que la psychiatre au suit fleuri de l’hôpital Maisonneuve m’a annoncé avec sa face de femme qui en a déjà vu d’autres. Je possède six critères sur neuf de la maladie.  Ah, c’pas si pire, je suis juste à 33,3 % d’être complètement atteinte d’un trouble de la personnalité. Et trente minutes plus tard, je pleurais comme une conne dans l’ascenseur désert de l’aile psychiatrique qui me ramenait au rez-de-chaussée.  C’est peut-être superficiel de ma part mais la seule chose à laquelle je pensais à ce moment-là, il y a deux mois exactement, c’est à la fille que j’ai connue des années plus tôt et qui était atteinte de ça aussi.  Pis je la trouvais fucking bizarre dans le genre too much drama pour rien.  

Est-ce que je suis bizarre comme elle moi aussi ? 

Est-ce je vivais dans le déni jusqu’à aujourd’hui? 

Pourquoi MOI?  

Je sais pas. Je sais toujours pas. Mais j’avais peur.  Peur d’être elle.  Peur de ce que les autres penseraient de moi.  Peur de moi-même. Peur d’être toute seule.   

Je suis qui ? Je suis quoi?    

Toute ma vie, j’avais accumulé des excuses sur le dos des autres.  J'avais empilé mes échecs sur la faute des mauvais choix, mon absence de confiance sur celle du manque d’expérience et mon mal de vivre, les conséquences d’une société trop exigeante.  Je blâmais ma vie depuis toujours en me faisant du mal, me punissant de ne pas être assez bonne pour réussir comme mes amis, tandis que c’est mon cerveau qui fait défaut.  Mon cerveau est malade comme une maudite sinusite qui veut pu partir.  Mon cerveau est fracturé comme mon os de l’épaule que j’ai massacré à 12 ans parce que j’ai voulu faire la cool en sautant en bas d’une roche pour impressionner le p’tit Desmarais.  Mon cerveau est aussi brouillé que les œufs que j’ai retournés à la serveuse dimanche passé parce que je les voulais tournés pas pétés.  Ben oui.  J’ai le cerveau un peu déréglé, mais un cerveau qui se répare. J’ai un trouble de la personnalité limite, mais grâce à une thérapie, je vais pouvoir réapprendre à penser.  

Ça va probablement être la chose la plus difficile que j’aurai à accomplir dans ma vie. Plus dure que de fuir quand j’ai trop mal, que de blesser quand j’aime trop, que d’avaler des médicaments quand je veux m’oublier ou que de vomir quand je suis plus capable de me regarder dans le miroir. 

« Lente et douloureuse, la route fût longue mais le chemin est beau. » 

Pour le moment, ma vie traîne sur pause mais tranquillement, j’apprends à me défaire peu à peu des mauvais plis qui me collent à la peau, depuis des peines et des peines. Et non. J’ai plus d’amoureux mais plutôt des amis qui cherchent à mieux me comprendre quand j’ai le goût de tout abandonner. J’ai même décroché les beaux rideaux qui brillent de mes fenêtres pour une grande maison que je partage avec ma famille.  

Finalement, ma vie est presque correcte.

Note de l'auteure : J'ai écrit ce texte il y a un an jour pour jour. Quand je le relis aujourd'hui, je peux vous dire que je vais beaucoup mieux. Comme toute maladie, j'ai appris à vivre avec cette partie de moi grâce à mes proches qui ont su m'écouter et une thérapie de trois mois offerte dans un centre axé sur les arts. J'ai rencontré des gens que je n'oublierai jamais et je me suis découvert une nouvelle passion pour la peinture. J'habite maintenant seule dans mon nouvel appartement, je me suis inscrite à l'Université en écriture et j'ai un travail que j'apprécie particulièrement et j'ai la chance d'écrire chaque semaine pour vous. À toi, qui lis ce texte et qui se reconnait peut être, je te rassure, la vie, c'est beaucoup plus que le vide ressenti à travers notre peau, la vie peut être belle aussi, il suffit juste d'apprivoiser nos monstres à l'intérieur de nous. Xxx

 

Source de l'image de couverture: Tumblr.com

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