« T’es laide pis tu pues !!! », me crie Maxime, en colère.
J’esquive le coup de pied en direction de mon tibia, mais ne vois pas venir sa petite main qui agrippe une mèche de mes cheveux. En essayant de ne rien démontrer de ma fatigue et de ma crainte, je tente d’ouvrir ses petits doigts tout en l’observant afin de déterminer si ce sera la dernière tentative envers moi. Ne le lâchant pas des yeux, je continue de tenter de l’apaiser d’une voix calme : « Je le vois que tu es fâché, Maxime. Je vais t’aider à te calmer. »
Impossible pour Émile de rester en classe.
Tout va trop vite dans sa tête et les réponses fusent sans attendre. Pour lui, la routine actuelle de la première année est impossible à maintenir. Dès qu’une contrariété se pointe le bout du nez, Émile s’éclipse de son local et part au trot à travers l’école. Gare à quiconque se trouve sur son chemin, les coups peuvent fuser n’importe quand, adultes ou enfants reçoivent le même traitement.
Étienne a un trouble dans le spectre de l’autisme.
Le système tente coûte que coûte de l’intégrer dans une classe régulière, malgré ses besoins particuliers, lui qui accapare une éducatrice spécialisée (TES) à temps plein, sans parler de ses moments de non-collaboration. Durant ces derniers, 2 à 3 intervenants doivent être présents, car la violence est de plus en plus régulière.
Lucas vit une grosse colère dans le corridor parce qu'un ami lui a marché sur le pied. Il se met à crier et à frapper l’élève fautif. Le personnel se dépêche de faire entrer les élèves dans les classes et fait un appel d’urgence aux TES. Ces dernières arrivent, tentent de le calmer tout en le dirigeant vers leur local d’apaisement. Il faudra 45 minutes de cris, de coups dans les murs, de tapes aux TES, d’insultes avant qu’il s’apaise…
Jérôme joue sur la cour avec ses copains du préscolaire. Sans prévenir, il pousse un élève au sol et lui donne un coup de pied dans le ventre. Une TES est appelée. Elle tente de le faire entrer dans l’école en usant de diversion, en faisant de l’humour, en lui nommant de faux choix… Jérôme ne collabore pas, se sauve et accroche « involontairement » deux autres enfants qui jouaient calmement. L’intervention est à recommencer en plus de devoir soigner et consoler d’autres petits, sans parler des appels à faire aux parents…
Voici le quotidien d’une éducatrice spécialisée dans une école primaire.
La faute à qui ?
Depuis 2 ans, j’ai les meilleures directrices. Toujours à l’écoute pour nous, ces dernières nous rattrapent lorsqu’une situation nous submerge. Leur porte est toujours ouverte quand vient le temps de discuter du comportement d’un de nos petits élèves. Proactifs, tous les moyens et intervenants sont mis en œuvre pour changer la situation au mieux des petits. Pourtant, les marques de violence, physique ou verbale, ne font qu’augmenter.
Je fais ce métier depuis 15 ans et mon quotidien d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec mes débuts. Les comportements qui étaient rares, 1 ou 2 élèves par école, sont maintenant de l’ordre de 2 élèves par classe !
Est-ce la faute de la Covid, des écrans, des parents qui travaillent si fort et préfèrent acheter la paix plutôt que de dire non à leur précieux? Assurément un amalgame de toutes ces réponses. Malheureusement, l’école d’aujourd’hui souffre et cela a des répercussions autant sur les élèves que sur le personnel qui les accompagne.
Les journées sont parfois longues, on va se le dire ! Les paroles blessantes, les coups de pied, les égratignures, se faire pincer ou cracher au visage… Toutes ces manifestations d’agressivité sont vécues tous les jours dans nos écoles. La détresse psychologique se pointe le bout du nez, la perte de confiance en ses capacités prend de plus en plus de place et les TES tombent malheureusement au combat.
Quelle sera la limite ?
Qui lèvera la main en affirmant que de vivre ces événements au quotidien laisse des traces, peut-être indélébiles ?
Quand cela se terminera-t-il pour les professionnelles qui ont à cœur le bien-être de ces enfants ?
L'aide et l’énergie nécessaire pour soutenir certains enfants avec de grands besoins ne doit plus primer sur notre santé, physique ou mentale. Et connaissant de nombreuses éducatrices spécialisées, il est extrêmement difficile pour ces dernières de faire un temps d’arrêt dans le contexte scolaire actuel, car cela nous donne l’impression d’abandonner ces petits en souffrance et nos collègues du même coup.
Et maintenant ?
Malgré les quelques « belles » journées passées dans mon école, il est désormais clair pour moi que je n’arriverai pas à continuer jusqu’à ma retraite ( dans 15 ans ! ) dans ces conditions. Ce métier peut être si valorisant, mais si drainant à la fois. Les blessures ( souvent anodines, me direz-vous, mais bien présentes ), les réveils la nuit, la charge de travail souvent insoupçonnée, la paperasse à remplir, tout cela m’essouffle.
Je lève mon chapeau à mon équipe de guerrières, mes amies, sans lesquelles je n’y arriverais pas. Je souhaite à chacune d’entre nous qui vivons des situations semblables d’avoir un environnement doux et compréhensif, sans quoi cette profession ne pourra pas tenir le cap encore bien longtemps…
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