Je suis fille d’une mère maniaco-dépressive. C’est quelque chose dont je n’ose pas souvent parler, et qui a toujours été tabou autour de moi.

La maladie de ma mère a été diagnostiquée à la fin des années 80, avant que je ne vienne au monde, une période où cette maladie était très mal comprise et donc prise en charge de manière médiocre. Le fœtus que j’étais, qui a été conçu avec beaucoup d’amour, s’est développé dans le ventre d’une mère sous traitement, nourrit à petite dose de liquide amniotique, de neuroleptiques et d’anxiolytiques.

Mes souvenirs de la petite enfance sont flous, et tout ce que je sais c’est que je n’ai aucun souvenir de moments tendres entre une mère équilibrée, et son enfant.

Je n’ai pas eu le quotidien des enfants ordinaires, qui voyaient leur mère dans la cuisine leur préparer un bon petit plat, ou leur mère les aider à faire leurs devoirs à la sortie de l’école, ou leur mère qui leur lit une histoire avant de dormir. Ma mère, je la voyais dans son lit en permanence, à mon réveil elle était dans son lit, et ne m’amenait pas à l’école, à mon retour de l’école elle était dans son lit, et ne me préparait donc pas à manger, à mon coucher elle était dans son lit, et ne me souhaitait donc pas bonne nuit. J’ai eu un papa qui jouait le rôle du papa et des sœurs qui jouaient le rôle de la maman, et pour cela je leur en serais toujours reconnaissante.

fleur vase litSource image : Unsplash

Cette maladie à vivre au quotidien par l’entourage est d’une difficulté méconnue, elle affecte le cerveau du sujet et influence sa façon de penser et de réagir. Ma mère avait un rythme de vie calé sur des montagnes russes, elle était parfois dans des phases de profonde dépression (où elle passait ses journées dans son lit, et où on l’arrosait à seaux d’eau pour la réveiller), et parfois dans des phases d’euphorie (avec des envies maniaques d’achats compulsifs où elle nous tirait par le bras dans le magasin pour nous forcer à choisir des vêtements).

Et parfois, ça dérapait totalement... Cris, menaces, violences, hurlements, tentatives de suicides. Quand tu retrouves ta mère dans son lit avec ses membres qui tombent dans le vide, que les médicaments jonchent le lit, tu sais que la prochaine fois que tu la reverras, ce sera en visite annuelle à l’hôpital psychiatrique. Comme je détestais cet endroit, oui je le détestais du plus profond de mon cœur : ces murs blancs, ces regards dans le vide, ces odeurs de repas dégueulasses, cette ambiance de morosité, les yeux tristes de ma mère, et ce médecin qui semblait dire que l’on ne pouvait rien pour elle. Je voyais ce lieu comme une place qui condamnait ma mère à l’enfer qui était venu la hanter.

Et puis un jour, elle est partie. J’avais 10 ans, ce quotidien que j’avais toujours connu a disparu du jour au lendemain. C’était la libération, c’est horrible à dire mais je n’ai jamais été si heureuse de mon enfance. J’ai continué mon chemin, j’ai tenté de grandir avec toutes les blessures qui me suivaient tel un fardeau dont on ne se sépare jamais. J’ai pardonné, accepté, et avec le temps j’ai pu faire le deuil de la mère que j’aurais pu avoir, mais que je n’ai pas eu.

Aujourd’hui, j’ai enfin pu construire un semblant de relation stable avec ce qui reste de ma mère, malgré cette maladie agrippée à son épaule qui ravage son cerveau, son cœur tendre reste intact ainsi que son amour inconditionnel pour ses filles.

Source image de couverture : Unsplash
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