Tout est expérience selon moi. Je vis au travers de mes sensations. Chacune d'entre elles s'imprime dans ma mémoire cellulaire.

Récemment, j'ai assisté à l’exposition immersive transformé à Montréal. Ce fut une visite émotionnellement chargée que je souhaite vous partager.

C’est un parcours en 3 salles, où sont diffusés en continu plusieurs petits films.

1. Du deuil à l’effroi

Dans la première salle, assise sur un pouf dans une semi-obscurité, j’écoutais une femme parler de son histoire d'amour. Histoire d'amour classique s'il en est, mais tragique dans ce contexte, car je comprends très vite que son partenaire est décédé.

Je suis infirmière clinicienne dans la vie de tous les jours. Quand cette femme évoque sa haine de l'hôpital, j'ai été assaillie de nombreux visages de patients décédés et de leurs proches. J'ignorais moi-même que je les avais conservés quelque part dans ma mémoire.

Et me voilà partie dans mon empathie.

Les larmes me montent aux yeux. Je veux juste serrer cette femme dans mes bras, mais elle n'est même pas là.  J'entends juste une voix me parler d'amour et de deuil. Je vois simplement des lignes colorées être projetées aux murs et créer des images.

Pourtant l'émotion est là, palpable, tangible, réelle.

Je suis soudainement en deuil.

Puis le témoignage prend fin.

Je sors doucement de ma transe, quelque peu hébétée.

Qui suis-je en train de pleurer exactement ?

Avec le second récit, je suis propulsée à Hawaï, le matin du 13 janvier 2018, à 08h08.

Chaque habitant de l’île reçoit un message d’alerte gouvernementale sur le fait qu’un missile balistique approche de l’île.

Un missile.

Balistique.

En direction de l’île.

La peur m’envahit, mes poils se hérissent…

Attends… Mais Hawaï existe toujours, non? Et on est en 2023.

Me voilà perdue et désorientée.

Pendant que je reprends mes esprits, les déclarations de témoins se succèdent.

Il y a la professeure qui se fige, le père de famille qui court dans la rue avec ses enfants à la recherche d’un abri ou encore cette famille qui choisit de s’enfoncer dans les égouts.

Durant 38 minutes, chaque habitant ou touriste de l’île a cru que la mort venait les chercher.

Quelle frayeur quand j’y pense!

Parce que, de vous à moi, si je vous annonce que dans 15 minutes votre vie s’arrête, qu’est-ce que vous faites?

2. 5 continents

La deuxième salle est bien plus vaste, il me semble. Il y a des chaises berçantes blanches dispersées un peu partout, orientant le regard dans plusieurs directions.

J'arrive à un moment où la musique est entraînante, d'ailleurs, je danserai bien. Des milliers de points jaunes lumineux paraissent flotter dans les airs. Est-ce que je suis dans l'espace ?

Les chaises se balancent tout autour de moi et tout à coup, je ressens le tournis.

J’ai l’impression de flotter, pourtant mes pieds touchent le sol. C’est vraiment perturbant.

Mon amie m'entraîne sur une chaise où je peux m'asseoir et reprendre mes esprits.

La voix suave d'une femme emplit l'espace. Elle va nous raconter pendant 10 minutes ce que c'est que de vivre entre deux cultures. À mi-chemin entre l'Éthiopie et l'Amérique, j'explore avec elle la sensation de ne pas savoir où sont ses racines.

Elle se considère habesha en Amérique puis finalement prend conscience qu'elle est perçue comme une ferenj par ces derniers.

Dans toutes ces tergiversations, qui est-elle ? D'où vient-elle ?

La chaleur du premier discours laisse la place à une ambiance radicalement différente.

Sur les murs est projeté ce qui ressemble à des morceaux de tôle. Puis un bruit caractéristique pour toute personne ayant grandi au bord de l’eau: celui du ressac.

Vite, il devient évident que l’expérience me plonge dans un conteneur.

Je suis claustrophobe dans la vraie vie et je dois avouer que la nausée est montée rapidement. J’avais beau savoir que j’étais dans le centre-ville de Montréal, mon corps se croyait enfermé dans une boîte de tôle.

Malaise. Anxiété. Peur. Voilà tout ce qui me traverse pendant ce moment.

Puis le sujet fait froid dans le dos. On va aborder le thème de l’esclavage moderne.

Durant un extrait, j’ai l’impression de me trouver aux côtés de ces jeunes enfants qui cousent un ballon ou des chaussures pour une marque bien célèbre. De quoi réfléchir à sa consommation et ses conséquences.

La dernière immersion nous plonge au cœur de Tokyo.

Sans paroles, mais avec un jeu de lumière et de musique, je traverse la ville, tantôt en métro, tantôt entre les gratte-ciels.

Une impression persiste cependant: je me sens donc bien seule à cet instant.

3. Entre schizophrénie et poésie

Dans la troisième salle, nous sommes plongées dans ce qui ressemble à un jeu d’arcade. On va y faire la connaissance de Goliath, gameur atteint de schizophrénie.

Ce témoignage est puissant et bouleversant.

Puissant parce que j’ai longtemps exercé en santé mentale et quand je l’entends s’exprimer, je revois, encore une fois, les visages de certains de mes patients.

Il faut croire que j’ai quelques fantômes qui me suivent.

Bouleversant parce que le discours est simple, mais percutant. Goliath a souffert et souffre toujours de sa maladie mentale. Il le partage de façon simple, sans flafla.

Il ne veut pas te faire pleurer, mais je pense que tu seras touché par son histoire.

Vient après un récit qui me donne des frissons de compassion. Un auteur a enregistré des audios alors qu’il devenait aveugle. Ce sont des extraits de ces audios qui sont diffusés.

Aux murs et sur le sol, des milliers de points bleus illustrent ses propos.

Tantôt c’est un rire d'enfant qui se fait entendre et ses empreintes apparaissent sur le sol. Tantôt c’est le bruit du vent dans les feuilles qui se laisse deviner et l'arbre en question se dessine sur le mur devant tes yeux.

Cet extrait est le plus poétique de tous. Il me touche en plein cœur et m’émeut profondément, mais sans m'accabler.

Il me laisse avec la question suivante: est-ce vraiment un handicap d’être privé de l’un de ses sens ou au contraire, est-ce l’opportunité d’appréhender le monde différemment?

Enfin, dernière immersion. Je comprends vite que c’est un petit film sur l’importance de prendre soin de soi, de respecter la nature. On y évoque la connexion entre chaque vie.

C’est très beau, mais de mon point de vue, c’est un peu plus plat que les autres expériences.

Après ce dernier extrait, ma visite de l’exposition prend fin. Je quitte le Palais des Congrès en ayant vécu 1 h 20 de montagnes russes émotionnelles.

Image de couverture d'OASIS immersion
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