** Traumavertissement : Santé mentale. Des ressources d’aide sont listées à la fin de cet article.

Dans cette vie, il ne faut rien tenir pour acquis. Je l’ai encore appris récemment, de manière à la fois surprenante et violente.

Lors de mon récent séjour au pays de mes origines, il m'a été permis de revoir certains visages que je n'avais pas revus depuis ces trois dernières années. Des visages que j'aime beaucoup, des visages que j'aime moins, et surtout des visages qui ont marqué mon enfance. Un de ceux-là se nommait Zico, enfant du quartier de la Porte verte.

Mon premier souvenir avec lui est celui-là : nous étions jeunes, j'avais peut-être tout aux plus huit ans, ma sœur cinq. Alors que je marchais avec elle sur la rue vers la maison, chacun une fleur à la main qu’on voulait offrir à notre tante, voici que Zico, qui avait mon âge également, nous les subtilisa malicieusement pour son compte. Il s'amusa à jouer avec celles-ci, à les sentir devant nos yeux. Je tentai de les reprendre de force: rien à faire, il était plus fort que moi. Et à la vue de mon incapacité de les lui prendre, il s'amusa à les défaire devant nos yeux, pétale par pétale.

Bien entendu, comme tout enfant de mon âge, surtout dans un quartier qui ne m'était pas encore aussi familier à cette époque, je montai vers la maison en pleurs et expliquai à mon grand cousin la raison de mon état. Il ne tarda pas à descendre, puis il infligea une telle correction à Zico que je m'en souviens encore comme si c'était hier. Même près de trente ans après.

Lors des années qui suivirent, je tins toujours mes distances auprès de Zico. Lorsque je le voyais de loin, je m'éloignai, changeai de trottoir, parfois même j’opérai un demi-tour et rebroussai chemin. Je savais au fond de moi qu'il ne pouvait rien vraiment m'arriver, qu’il ne me ferait rien: cependant, je ne puis me défaire de l'idée qu'il pouvait à tout moment se venger de moi d'une manière ou d'une autre.

Rien ne dure vraiment dans cette vie, et la peur n’y échappe pas.

Au cours des dernières années, j’étais arrivé à vaincre ma crainte de rencontrer Zico : je trouvais le courage nécessaire pour le saluer lorsque je l’apercevais. Au début, de manière froide et polie, puis de façon de plus en plus chaleureuse. Jusqu'à il y a un mois où je l'ai croisé tout juste devant la maison de ma tante. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu: nous en profitâmes pour demander sincèrement et réciproquement de nos nouvelles.

Je remarquai son visage amaigri, fatigué. Ce n'était plus le Zico d'alors, espiègle et plein d'énergie. Quelque chose s'était éteint en lui. Il m'avait dit qu'il était sans travail (il a travaillé les dernières années au marché), mais que malgré tout il tenait le coup. Après des échanges de quelques banales nouvelles, nous nous souhaitâmes une bonne soirée.

C'était la dernière fois que je vis Zico. Jamais plus je ne pourrai le revoir.

Mercredi dernier j'ai appris qu'il s'était enlevé la vie en se brûlant la semaine d'avant. Quelques jours plus tard, il avait succombé à ses blessures.

Apparemment on ne sait pas trop pourquoi il posa un tel geste sur sa personne. Geste terrible, terrible parce qu'en tant que société nous avons abandonné un des nôtres. Les hypothèses sur la cause de son acte qui sont ressorties les plus fortement ont été les suivantes: dépression, non aidé par le fait qu'il était sans emploi, et la mort de son père un mois plutôt.

C'est là que je me rendis compte que si j'avais demandé plus longuement de ses nouvelles et celles de son entourage lors de cette soirée, j'aurais probablement pu percevoir tout ceci, voire plus. Et après, aurais-je pu y faire vraiment quelque chose? On ne mesure pas l'entière portée que peut avoir une belle parole sincère d'un humain à un autre, et vice-versa. Une intonation différente dans ma manière de le saluer, une parole encourageante lui montrant que l'espoir existe, surtout d'une personne qui n'appartient pas à son quotidien, n'importe quoi aurait pu changer le cours des choses. C’est ma conviction. Et si j'avais pris un moment de plus avec lui, serait-il encore ici?

Vous me direz qu’il est vain de penser à tout ceci. Vous avez probablement raison, mais que voulez-vous, c’est plus fort que moi. Cette histoire, je ne pourrai pas l'oublier de sitôt.

Cependant, celle-ci montre qu'il ne faut pas supposer que les choses ne se passent pas trop mal pour les gens de notre entourage malgré ce qu’ils nous affirment. On ne sait jamais ce qu'ils traversent vraiment intérieurement. Il ne faut rien tenir pour acquis.

Repose en paix Zico.

Image de couverture via Pixabay
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