Input : devenir immortel.le.
Output : la finitude de l’existence.

Serons-nous les dernier.e.s humain.e.s à naître du hasard de la génétique? Serons-nous la dernière génération à devoir apprendre à dire au revoir, à laisser aller? À l’ère de l’intelligence artificielle, du clonage et du génétiquement modifié, le deuil deviendra-t-il obsolète? Seulement le souvenir douloureux d’une autre époque?

Quatre ans après son spectacle Posthumains, Dominique Leclerc revient sur scène avec i/O, un spectacle intime et ô combien politique sur la vie, le vieillissement, la désuétude, l’immortalité.

À travers la présentation d’objets qui ont rythmé sa vie, devenus bons à jeter comme nos corps engagés dans le passage du temps, Leclerc livre un manifeste sur le beau, le doux et l’angoisse de l’existence. À cheval entre autofiction et documentaire, l’artiste témoigne du passé à travers ces artefacts ordinaires, auxquels l’audience peut s’identifier, rendus spéciaux parce qu’ils ont été à nous. À l’époque de la productivité et de la consommation acharnée, Leclerc offre une capsule dans le temps, un moment de nostalgie et de reconnaissance pour ces objets qui, aujourd’hui, ne sont plus considérés assez performants, réalistes, neufs.

Les techno-utopies font de nos corps et de nos existences finis des projets à construire, des objets de consommation comme les autres et donc, forcément, perfectibles ou jetables. Dans 50, 100 ans, pourrons-nous complètement éviter la maladie? Pourrons-nous rester jeunes à jamais? Vivrons-nous pour toujours? Ces questions plus grandes que nature, Leclerc les pose avec une touche d’humour et une grande sensibilité. Créant une archive pour les générations futures en direct de son spectacle, Leclerc invite le public à appréhender les possibles de la technologie à contrecarrer la fatalité de la vie humaine. Accompagnée de ces deux acolytes sur scène, Jérémie, la suivant avec une caméra, et Patrice, lui apportant les objets sur un plateau, l’artiste donne vie à un récit intimiste, mais aussi hautement collectif. Le public se retrouve dans cette histoire de deuil que livre Leclerc, grandiose et ordinaire; singulière et commune.

À travers plusieurs entrevues, i/O déploie des êtres convaincu.e.s de pouvoir transcender la vieillesse, la dévastation de notre planète, la maladie.

L’un se fera cryogénisé pour pouvoir se réveiller à une époque capable de le guérir, l’autre a subi un traitement pour rallonger ses télomères, le bout de nos chromosomes qui se rapetissent en vieillissant, un autre est convaincu qu’il faut exacerber le progrès économique et scientifique, quitte à empirer la situation climatique, pour un jour être capable de faire pousser des arbres en laboratoire. Ce moment venu, la croissance d’une forêt ne se comptera plus en années, mais en jours. Il nous serait possible de recréer ce qu’on a perdu, les ressources que nous avons dévorées, les morts que nous avons causées.

Pris entre stupeur et incrédulité, les spectateur.ice.s engagent avec Leclerc cette réflexion entre science-fiction et réalité.

Tout petit dans le théâtre, dans l’univers (c’est du pareil au même puisqu’un monde est remis à neuf dans la salle), le public a l’impression que se joue quelque chose de plus grand. Peut-être son destin. Le nôtre. Ces questions nous concernent tous.tes et même si ça semble aberrant, il est difficile de s’imaginer quelqu’un qui, face à la maladie ou la mort, refuserait de prolonger sa vie, de l’améliorer, de s’augmenter. Nous sommes à l’époque du toujours plus grand, toujours plus intense : la vie elle-même ne suffit plus et nous avons en main le pouvoir de devenir des demi-dieux. De transcender cette règle immuable et hasardeuse qui fait que nous mourrons tous.tes un jour.

i/O est somme toute un manifeste à la vie; un appel à se laisser toucher, en dépit de tout ce qui nous pulvérise et nous assaille chaque jour. C’est terrible et beau d’avoir mal, d’aimer, de vieillir, de quitter, de dire au revoir. C’est terrible et beau de ressentir des choses aussi fortes que l’émerveillement, l’amitié, la perte; de savoir qu’on a tenu quelque chose si près de soi qu’on ne sait plus quoi faire de ses mains une fois qu’il n’y est plus.

Je sors d’i/O avec l’envie plus forte de me laisser bouleverser, de dire je t’aime, je ne veux pas m’engourdir ni prendre un détour.

Laissons-nous frapper de plein fouet par cette existence éphémère, banale et complètement miraculeuse.

Certes, nous pourrons peut-être un jour pousser des arbres en laboratoire, mais en attendant, des centaines grandissent avec un peu de terre, de soleil et d’eau. Ils créent de l’oxygène à même le rien et quand le vent se met à jouer dans leurs feuilles, parfois, au bon moment, ça coupe le souffle.

Nous serons peut-être la dernière génération à devoir apprendre à dire au revoir. Peut-être qu’un jour, nous n’aurons plus à mourir. Peut-être aussi déciderons-nous que cette existence, si courte soit-elle, nous donne un sens et rend tout précieux.

Output : la peur de mourir.
Input : la beauté d’être furieusement vivant.e, même si c’est juste pour un temps.

Image de couverture via Centre du Théâtre d'Aujourd'hui 
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