Gabo Champagne entame sa performance solo avec un air mélancolique joué au piano. Derrière iel, un écran. Le public y voit la projection d’un corps recroquevillé. Au fil de l’air joué par Gabo, la projection sera mise à mal, pixellisée, redoublée, déformée. Mise à mieux, peut-être, qui sait.
Tout en musique, en poésie et en mouvement, l’artiste entame un rituel à la fois doux et violent, comme une expiation des traumas issus de l’enfance.
À l’aide d’archives vidéo et d’extraits de documentaire audio, l’œuvre de Champagne (re)met en scène l’enfance : la performance des genres normés par la famille hétéropatriarcale. Le goût pour les déguisements qui affirment d’ores et déjà qu’on aimerait être autre chose que ce que l’on est. Le rapport trouble entre une famille aimante, mais coincée dans son époque et ses biais, et un enfant qui sort des cases bien définies. La performance multidisciplinaire de Champagne fait usage des archives et du documentaire comme dans une enquête, récoltant peu à peu les indices de l’adulte que l’on deviendra, que l’on devenait déjà, à un âge précoce, sans le savoir. L’artiste en scène refait le parcours à l’envers, rebrousse le chemin du temps, avec sensibilité et lucidité. Iel se réapproprie cette histoire qui lui a échappé, qui nous échappe tous.tes, pour y retracer les dérapages, les détours et les éclats de lumière.
Champagne retire une à une les couches de vêtements qui séparent son corps du monde. Un dépouillement tout simple, une mise à nu littérale, tout en sobriété. Iel retire les atours, se présente sans artifice au public. Iel embrasse les projecteurs, les berce de ses sifflements et dépose à leur côté ses vêtements comme une offrande sur une tombe. Le dévoilement comme un cadeau. Une douceur émane des mouvements malgré la violence de certaines archives. Sur la scène, les mots peuvent encore résonner en nous, mais ils n’ont plus le même pouvoir. Ici, nous les avons choisis.
Dans un cadre intimiste, Champagne partage avec l’audience un moment privilégié, quelque part entre réminiscence et onirisme. Dans cette performance solo, la musique, la vidéo, le mouvement et le documentaire vont main dans la main pour recréer le portrait d’une jeunesse heureuse, mais restrictive. Les garçons ont des pénis, les filles ont des vulves : répétées comme un mantra, ces affirmations s’édifient en vérité dans la tête du bambin qui ne sait que faire de son désir de porter des robes et de vouloir être jolie. D’une honnêteté désarmante, les archives vidéo montrent la force avec laquelle les rôles de genre sont réifiés (prétendument) grâce à la biologie.
Hui, heur, nuit a été présenté dans le cadre du Festival Phénomena, fondé par D. Kimm et les Filles électriques en 2012. Ce festival interdisciplinaire se veut une tribune aux artistes inclassables et atypiques, catégorie que Gabo Champagne incarne avec brio.