À chaque matin, sur la route en direction du travail, je fais le point sur ma vie, je réfléchis à l’humanité et je constate à quel point nous sommes choyés. Enfants de boomers, nous avons connu une qualité de vie et un confort qui jamais n’a été atteint auparavant et qui, malheureusement je pense, ne le sera pas non plus avec les enjeux sociaux, économiques et climatiques qui arrivent à grands pas. Pas besoin d’être millionnaire pour avoir accès aux dernières technologies, vivre dans des habitations confortables et pouvoir étudier aussi longtemps que nous le voulons à faible coût en raison de notre système d’éducation issu de la Révolution tranquille. Nous avons tout eu et nous en demandons plus.

Habitués à ce que le tapis rouge nous soit déroulé depuis notre enfance, nous acceptons mal le Non. La pandémie et ses restrictions est le plus gros Non auquel nous avons eu à faire face en 20, 30 ou 40 ans. Si jusqu’à ce jour le plus gros évènement venant affecter notre vie est la Covid, je nous trouve chanceux. Pas d’ouragans, pas d’extrême pauvreté, pas de famine ni de guerre, juste un virus qui demande d’être patient, de penser aux plus vulnérables et de faire des efforts pour la collectivité, pour se protéger les uns les autres.

Accrochées sur mon pare-soleil, j’ai les photos de mes deux grands-pères qui sont maintenant au ciel et qui veillent sur la famille. En pensant à ce qui nous arrive, je ne peux pas m’empêcher de me demander qu’est-ce qu’ils penseraient de notre peu de respect envers le bien commun. Eux qui ont travaillé dès un très jeune âge, qui ont trimé dur pour subvenir aux besoins de leurs frères et sœurs, eux qui ont tout donné pour plus grand qu’eux-mêmes. Qui le faisaient par nécessité, par bonté et par une foi en une humanité parce que c’est cela qu’ils avaient appris avec la religion et la famille, à prendre soin des autres.

aider ses prochessource image : Unsplash 

Avec ce que je vois, le non-respect de consignes simples, du je-m’en-foutisme incroyable et du Je, Me, Moi à son plus fort, je ne peux que demander pardon pour notre manque de volonté et de vision. Trop habitués à ce que nos besoins soient comblés dans l’instant et à ce que nos pulsions ne soient pas compromises, notre besoin de ne pas vivre de frustrations devient plus important que de protéger nos aînés, nos proches et surtout, le personnel d’un système de santé chambranlant, qui nous soigne pourtant depuis le berceau.

Nous avons oublié le sens du mot sacrifice, du mot patience, du mot espoir et du mot collectivité. Avant nos grands-parents qui ont en grande majorité sublimé leurs aspirations pour faire de leurs enfants et petit-enfants des générations à l’abri du besoin, plus éduquées et plus modernes, il y a eu toute une génération entière de jeunes hommes de chez-nous qui ont littéralement donné leur vie pour combattre le mal en Europe en désirant préserver notre mode de vie, nos idéologies, nos valeurs et, le plus important de tout, notre humanité, car « en sauvant une vie, c’est toute l’humanité que nous sauvons ».

Ces jeunes garçons et femmes se sont enrôlés sous le drapeau pour aller défendre des principes fondamentaux en lesquels ils croyaient au point d’en donner leur dernier souffle. Ils ont combattu le fascisme et la menace qu’il représentait à des milliers de kilomètres de leur foyer, dans le froid, la faim, la peur et la solitude. Loin des leurs avec comme seuls souvenirs à se rattacher des photos en noirs et blancs de leurs familles, ayant comme seul moyen de communiquer de rares lettres qui prenaient des mois à se rendre à leurs mains, ayant comme seul objectif de revenir en un seul morceau au pays pour recommencer à vivre dans la paix, sans morts ni bombes, ni tranchées ni violence.

Alors que de nos jours, rares sont ceux qui volent de leurs propres ailes à l’atteinte de la majorité, pour la plupart encore chez nos parents pour pouvoir continuer nos études ou apprendre à vivre avec la vie d’adulte, des hommes ayant fraichement eu 18 ans quittaient leurs terres pour partir en bateau vers un monde qu’ils ne connaissaient pas, avec la conviction de faire ce qui était juste. Le bien commun surpassait leur propre personne.

adolescents dehors sur leurs téléphonessource image : Unsplash 

Dans nos nids douillets, armés de téléphones, de tablettes et d’ordinateurs, à un clic de pouvoir discuter en son et image avec nos proches et à un claquement de doigts de commander ce que nous désirons en ligne, on ne réussit même pas à penser à autre chose qu’à notre petit nombril. Nous voulons voir nos proches, nous voulons aller au restaurant, nous voulons aller magasiner, nous voulons vivre selon notre définition de la liberté. Seriez-vous capable de regarder dans les yeux votre ancêtre qui a donné cinq années de sa vie à se battre dans la boue, la sueur et le sang et lui dire combien votre vie est difficile en ce moment? Ne pensez-vous pas que lui il ne s’ennuyait pas de tous les plaisirs de la vie? La différence, c’est qu’à l’époque, les gens avaient appris à donner, à partager.

Ne serait-il pas temps d’être fiers de nous et de pouvoir nous regarder dans le miroir sans cligner des yeux en se disant que nous aussi, nous avons mené notre guerre, différente, psychologiquement difficile, mais que nous avons été à la hauteur des hommes et femmes qui ont bâti notre monde, en protégeant nos structures sociales, nos infrastructures et notre cocon de paix qu’est le Québec et qui prend soin de nous depuis notre naissance. Tout a un prix. Pour la paix, nos anciens ont souffert et pour la santé, nous devons souffrir également, sans quoi, la situation sera aussi désastreuse que notre manque de volonté et d’humanité.

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