La dernière fois que j'ai parlé avec mon père - je veux dire, vraiment parler -, c'était il y a huit ans. Depuis, je repousse sans cesse le sentiment de culpabilité qui tente de m'engloutir. Huit ans que je m'efforce de mettre un pied devant l'autre, sans regarder en arrière. Il m'arrive de croiser mon père à Noël, ou dans d'autres événements familiaux comme des mariages, des anniversaires, etc. Depuis huit ans, mon entourage me dévisage en attendant que je reprenne contact avec lui. Encore et toujours ce sentiment d'avoir fait quelque chose de travers, même si j'ai fui pour ma sécurité. Plus les années passent, et plus je me rends compte de l'évidence, du fossé qui se creuse entre moi et mon géniteur. Je réalise peu à peu que je devrai faire le deuil d'une relation père-fille, la mienne.

Dimanche soir, comme pas mal de soirées ces derniers temps, j'ai passé mon temps sur Netflix à regarder en rafale une nouvelle série. Espérant me changer les idées et me détendre, je n'aurais jamais pensé finir chaque épisode de cette série en larmes, le coeur gros d'une relation que je ne récupérerai jamais. Dans l'émission, un père qui n'a pas pu voir sa fille grandir lui dit tous ces mots que j'aurais aimé que le mien me dise, mais que je n'entendrai jamais.

silhouette père fille famille plage

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Oui, c'est moi qui ai pris la décision de couper les ponts. Je l'ai fait pour ma santé mentale et ma sécurité. Un soir que j'ai vraiment craint pour ma vie, j'ai décidé que c'était assez. Du haut de mes treize ans, j'ai pris une décision qui allait changer ma vie à jamais. Une décision que mes frères n'ont pas pris et que l'un ne comprend toujours pas, huit ans plus tard. Si tous mes amis connaissent mon histoire, il n'y a qu'une personne à qui je me suis confiée dans ma famille. Les autres ne connaîtront peut-être jamais mes raisons. Tant pis.

J'ai longtemps pensé être un minimum en paix avec ma décision. Malgré mon sentiment de culpabilité, je sais que j'ai bien agi. Quand tout le monde, dont ton père, essaie de te faire revenir à la « raison », leur propre vérité, tu commences à douter de toi. Même si tu as choisi de le tenir à l'écart, ça ne fait pas moins mal. C'est un poids qui est constamment sur mes épaules. Il est difficile de faire le deuil d'une relation qui est toujours présente. Je dois faire le deuil d'une personne qui est toujours en vie, qui continue de m'écrire de son ton narcissique que je déteste tout en me culpabilisant de m'être choisi, moi, plutôt que notre relation.

Au plus profond de moi, je sais que je ne le veux plus dans ma vie. Que cette relation père-fille, elle est morte et enterrée. Que mon père n'existe plus, pas pour moi, pas pour ma santé mentale. La vérité, c'est que je n'ai pas l'impression de connaître l'homme qui se trouve devant moi et qui est aveuglé par sa vision égocentrique des choses. Je n'en peux plus de me faire traiter de folle quand ma vérité diffère de la sienne. Pendant huit ans, j'ai attendu de vraies excuses.

« Je m'excuse de t'avoir fait du mal, d'avoir sali ton enfance avec mon ego tellement démesuré que j'étais incapable de consulter. Je m'excuse de t'avoir fait sentir comme si toute la famille reposait sur tes épaules, alors que tu avais seulement 9 ans. Je m'excuse de t'avoir amené à détester ta mère avec mes mensonges. Je m'excuse de la manipulation psychologique que je t'ai fait subir pendant toutes ces années ».

Des excuses que je n'entendrai jamais, parce que certaines personnes sont incapables de se remettre en question. Des excuses dont je devrai faire le deuil éventuellement. 

mains père enfant

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Dans la dernière conversation qu'on a eue, j'ai réellement pensé qu'il s'excusait d'avoir gâché notre si belle relation père-fille qu'on avait à l'époque. Mais non, il désirait plutôt me pardonner mon innocence. Comme si j'avais quelque chose à me faire pardonner, moi. Et une fois de plus - une fois de trop -, je suis tombé de haut.

J'ai mal en pensant que cet être humain qui était autrefois si important à mes yeux ne rencontrera peut-être jamais mes enfants, ne viendra jamais souper à la maison un vendredi soir et ne m'accompagnera jamais jusqu'à l'autel. Il ne me verra pas graduer de l'Université, ni acheter ma première maison, ni changer les premières couches. Il ne sera pas là.

Alors aujourd'hui, je commence tranquillement à faire le deuil de celui qui était mon héros avant de se transformer en je ne sais quel vilain, ou avant que son masque ne tombe. Celui qui était censé me protéger, mais qui m'a détruite. Et ça, c'est impardonnable.

Dans les prochaines années, je devrai faire le deuil d'une personne qui est toujours en vie, d'une relation père-fille à laquelle je tenais jadis. Je ne sais pas comment je m'y prendrai, mais je n'ai pas de doutes que j'y arriverai.

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