Ils s'attendent à ce que je réponde « les hauteurs » ou toute autre réponse conformiste et usée qui satisferait l'intransigeance de leur esprit. Mais la vraie peur, celle qui se love sur les épaules le soir et empêche de respirer, c'est celle de ne pas réellement vivre.
De cligner des yeux et de se retrouver, 30 ans plus tard, dans une maison qui ne sent pas vraiment comme chez-soi. À troquer la grande partie de sa vie au travail contre quelques moments de liberté, qu'on choisit de passer engourdis devant des émissions sans réelle profondeur ou des applications futiles. Occupés chaque jour à préparer le souper, faire le lavage, se coucher, puis recommencer le lendemain. Une succession de moments qu'on vit sans vraiment les voir passer, avant de prendre du recul trop tard et de se demander ce qu'on faisait tout ce temps-là.
J'ai peur.
J'ai peur de la fugacité de notre existence. J'ai peur de ne jamais faire ce dont j'ai été effrayée toute ma vie. De ne jamais apprendre à jouer d'un instrument, de ne jamais voir le monde, de ne jamais partir loin avec rien d'autre que son sac à dos et des yeux grands ouverts qui veulent absorber la beauté, les différences, le nouveau. Pas de billet de retour. J'ai peur de ne jamais me lever à cinq heures du matin juste pour observer le lever du soleil, qu'on oublie de temps en temps, ou les étoiles s'il en reste. Apprécier le ciel qui, chaque jour, s'embrase et se consume alors que tous les yeux sont clos. Mettre un réveil-matin, pas parce que j'ai de l'école, du travail, ou une quelconque obligation, mais parce que je profite. Parce que je profite de cette chance inouïe qu'on a d'être en vie en ce moment sur le véritable miracle qu'est cette planète.
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J'ai peur d'oublier tous ces moments tièdes qu'on oublie rapidement, mais qui sont les plus importants. Je trouve tant de beauté dans les fois où j'ai ri si fort que je me suis retrouvée par terre, à parler de vieilles coupes de cheveux ou de phrases qu'on a dites quand on avait quatre ans. Je ne me souviendrai pas de la fois où on a chanté autour du feu de camp à deux heures du matin l'été ou de la partie de Monopoly éclairée aux chandelles pendant une panne d'électricité. Pourtant, ce sont eux, les moments les plus précieux. Ce ne sont pas les tisons ardents ou les grands feux d'artifice, mais notre vie au grand complet est composée de ces notes de musique plus douces, mais pas moins justes. J'aurais envie que mes yeux prennent des photos et que mes souvenirs soient une averse de couleurs.
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Je me sens si impuissante face au temps qui me glisse entre les doigts à la vitesse des années-lumière, et je le suis. J'aimerais encore avoir 16 ans, la jeune moi avec quelques leçons en moins, mais tellement plus riche de la conviction profonde que rien ni personne ne peut l'arrêter et de son coeur en période d'apprentissage qui ressent dix fois plus l'ivresse de chaque moment.
J'en voudrais tellement plus que ce que cette vie peut me permettre, plus de soirées dont je n'ai que de vagues souvenirs à danser toute la nuit, de dimanches après-midis ensoleillés à faire du vélo avec les gens qui m'ont vu grandir. Plus d'idioties impossibles, de promenades en voiture les fenêtres baissées à laisser la brise jouer dans mes cheveux.
Ma plus grande peur est de ne pas être furieusement vivante pendant qu'il est encore temps.