Mon homme aime les courbes. Plus elles sont longues et accentuées, plus il les aime. Moi, je les déteste. Un voyage à Québec en moto a tout changé. J’y ai découvert le plaisir des courbes.
Le purgatoire
Les premiers kilomètres de cette balade en moto avaient tout du pronostic désastreux. À 120 km/heure sur l’autoroute 20, coincée entre deux énormes camions, le vent agressant mes oreilles et mon visage. Déséquilibrée, ne sachant plus à quelles prises me rattacher, je me disais que le voyage allait être long et pénible. L’autoroute, en moto, est un mal nécessaire. C’est le purgatoire qui permet d’accéder au ciel. Mais ça, je ne le savais pas, néophyte du bicycle à gaz que j’étais.
Sentant la panique s’installer chez moi, à bord de ce « deux roues » d’enfer, mon homme a eu la sagesse… d’accélérer pour arriver à la sortie de l’autoroute qui nous rapprocherait de la route bordant la Rive-Nord du fleuve. C’est assis à une table à pique-nique, devant une bière et un sac de chips, qu’il m’a rassurée, moi, qui grelottais d’angoisse sous ma veste de cuir à 30 degrés Celsius. « Tu vas voir, les petites routes et leurs courbes, c’est trippant ». C’est dans des moments comme ceux-là qu’on peut mesurer la confiance qu’on a en quelqu’un. Je l’ai cru et il avait raison.
Des paysages olfactifs
C’est donc installé sur notre cheval de métal que je suis partie en cavale avec mon prince, au bord du fleuve, bravant les moustiques juteux qui s’écrasaient sur mon visage. Il faut dire que j’avais choisi l’option « aventure » pour mon premier voyage : pas de visière pour mon casque et pas de manteau. Pour ce qui est du manteau, 30 secondes de route suffirent à me convaincre de le récupérer dans le coffre de la voiture. Quant au casque sans protection, je ne l’ai pas regretté malgré les bibittes qui entraient par tous les orifices de ma face.
Le plaisir de sentir le vent sur mon visage compensait largement les attaques de ces agresseurs ailés. En moto, à 30 degrés Celsius, le vent est un grand bonheur. Chaud et sensuel, il charrie toute une palette d’odeurs. Tantôt, c’est un cocktail olfactif de foin fraîchement coupé et d’eau du fleuve. À un autre moment, c’est le parfum sucré d’un champ de trèfles. Au détour d’une route ombragée, c’est l’odeur boisée de la fougère. À l’approche d’un village, l’effluve de la graisse annonce la présence d’une machine à patates. Le nez devient un radar qui perçoit le paysage à travers les diverses émanations. Combien de fois je me suis sentie liée au moment présent par le toucher, la vue et l’odorat ! En moto, on ne pense pas, on vit.
La valse des courbes
Et les courbes… Mon cavalier aguerri m’avait dit : « Tu es comme mon sac à dos, tu suis tous mes mouvements ». Durant ce voyage, j’ai appris à danser avec les courbes, sans résistance et sans contrôle. Prendre une courbe en moto, c’est comme prendre un virage dans la vie. Plus on résiste, plus c’est difficile. Il faut complètement s’abandonner et laisser la force de gravité faire le reste. Plus facile à dire qu’à faire, mais quand on comprend le principe, quelle liberté !
Après quelques jours d’escapade, on a rendu la moto à son propriétaire. Au retour, l’habitacle de l’auto m’a semblé bien stérile en dépit des fenêtres ouvertes. Plus de vent caressant, plus d’odeurs enivrantes. J’anticipe déjà la prochaine virée dans l’air piquant de l’automne à valser avec les courbes des chemins colorés.
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