J’ai rencontré pour la première fois Momo pratiquement dès mon arrivée à XXXXXXX. Cette localité, située à un peu de moins de deux heures de route de XXXXXXX, est un petit havre de paix que je conseille à chacun.e qui souhaite se changer rapidement les idées, surtout après un séjour au sein de la capitale du pays. À XXXXXXX, la plage le jour et les étoiles la nuit sont magnifiques, la nourriture est simple et bonne. Que demander de plus lorsque l’on est en vacances?

En arrivant à la villa des garçons en début de soirée (les filles et les garçons avaient chacun leur quartier), un homme d’une trentaine d’années environ vint à nos devants, prit nos valises et les amena à nos chambres. Je tentai de résister pour qu’il ne transportât pas la mienne: je ne suis pas habitué à ce que l’on porte mes bagages. Mais il insista. Ce fut mon premier contact avec Momo.

Un peu plus tard dans la même soirée, le groupe de garçons que nous étions s’installa dans l’immense jardin au-devant des appartements de la villa pour jouer aux cartes. À côté de la porte d’entrée, Momo était assis sur une chaise en plastique. Il ne faisait rien de particulier, à part attendre calmement je ne sais quoi.

J’obtins ma réponse une heure après.

Deux couples avec leurs enfants entrèrent par la seule porte de la haute muraille qui entourait le jardin et les appartements. Se trouvait dans ce groupe la propriétaire des lieux qui, après s’être présentée et fait quelque peu connaissance avec nous, nous demanda de faire attention la nuit: si nous devions quitter nos chambres pour nous poser au jardin, il fallait au préalable avertir Momo afin qu’il enferme les deux énormes chiens qui étaient relâchés chaque nuit pour surveiller les lieux.

Je compris alors que Momo était le gardien de la propriété.

Le lendemain matin, il était déjà réveillé pour nous accueillir. Sur la table au centre du jardin, il y avait tout ce que l’on pouvait raisonnablement désirer pour un petit-déjeuner. Même si ce n’était pas lui qui avait dressé la table, il était sorti plus tôt ce matin (et les dix autres matins) pour nous ramener tout ce qu’il manquait à notre confort. En particulier des viennoiseries, qu’il ne mangeait jamais, ne pouvant se les permettre. Des viennoiseries pour lesquelles, si nous ne les mangions pas un jour, il nous les gardait précieusement pour plus tard.

En le voyant ainsi en forme, sans manque de sommeil apparent, la première question qui me vint à l’esprit fut: “mais quand est-ce qu’il dort?”. Et c’est ainsi que je commençai à m’intéresser à lui.

Momo donnait donc l’impression de ne jamais dormir. “Quelques heures par nuit”, m’a-t-il dit par la suite, et il m’indiqua ses appartements, un petit logement à côté de l’entrée à l’intérieur de la muraille, “et avec cette chaleur, une petite sieste en après-midi”. Il pouvait se permettre de baisser la garde en ces heures: la nuit, les chiens rôdaient, le jour, la bonne (c’est ainsi qui l’appelait) assurait la présence nécessaire.

Pour le restant de la journée, il s’occupait comme il pouvait. Notamment en nettoyant la piscine des insectes et du sable qui venait s’y accumuler après chaque nuit, et balayant les allées en marbre du sable qui s’y était accumulé lors de la nuit précédente. Il faut savoir qu’il y avait toujours du sable en cette région du monde.

Il était également continuellement aux petits soins pour nous.

Une fois, après que la climatisation dans ma chambre m’eut gelée pendant toute une nuit, je lui demandai une couverture: il vint me la porter aussitôt, alors que lui n’avait pas de climatiseur dans sa chambre. Et une nuit, en me voyant travailler tard dans le jardin, il installa à mes côtés un antimoustiques pour ne pas que je me fasse trop déranger par ces satanées bestioles. Alors que je ne l’ai jamais vu faire ceci pour lui: les moustiques le piquaient, et il ne se plaignait jamais.

Un matin, je me réveillai plus tôt que d’habitude et plus tôt que tout le monde. En sortant de l’appartement, je sentis la chaleur m’accabler d’emblée. Je ne vis pas Momo dans le jardin. Je hélai son nom: il me répondit de l’extérieur. En franchissant l’entrée, je le trouvai en train de faire tomber des noix de coco des cocotiers. Ils nous étaient éventuellement destinés, afin qu’on puisse se désaltérer face à cette humidité omniprésente étouffante.

Après l’avoir aidé, nous nous assîmes sur le bord du trottoir, et c’est ainsi que j’appris à le connaître un peu plus:

Je viens du XXXXXXX. J’y ai vécu toute ma vie, sauf les quatre dernières années. Ça fait quatre ans que je suis au XXXXXXX, et que je travaille ici. Sept jours, sans vacances, depuis quatre ans. J’ai une femme. Elle est là-bas. Je ne l’ai pas vu en quatre ans. Mais je ne me plains pas : j’ai un travail avec de bonnes conditions, je suis logé et nourri, la patronne est très gentille avec moi, on me traite bien. El hamdouli'Allah. Cette villa, surtout ce jardin, c’est ma vie depuis quatre ans. Même l’intérieur des appartements, je peux y entrer, mais pourquoi puisqu’il y a une bonne. Donc je reste au jardin. Il y a toujours à faire ici. Et c’est plus frais, avec l’ombre des manguiers. Il fait trop chaud à l’intérieur. Ce que je fais de mes journées? Je ramasse ces mangues qui ne cessent de tomber. Ça n’arrête jamais. Je n’en mange plus vraiment, tellement que je n’arrive plus à les sentir. Après, ça reste de la bonne nourriture, à portée de mains, donc je fais avec. El hamdouli'Allah. Aussi je n’arrête pas de nettoyer les allées de ce sable qui ne veut pas cesser de s’accumuler. Comme tu as pu le voir, il y a du sable et de la poussière partout ici. C’est le Sahara sans fin. Le matin, et en soirée, je nourris ces chiens que nul ne peut vraiment approcher, sauf moi. Tu vois, ces deux pitbulls (il me les montre au loin dans leur cage), ce sont mes seuls amis depuis que je suis ici. Qui un jour aurait pensé que je verrai plus de chiens dans ma vie que d’humains. Car il n’y a pas beaucoup de personnes qui viennent ici. La patronne avec sa famille oui, surtout les weekends, mais pas tous les weekends. Sinon, quelques voyageurs. Mais ici ce n’est pas une destination vraiment populaire. Oui, il y a une bonne ici. Mais elle est trop stressée de devoir faire son boulot bien. Elle a peur de le perdre. Elle ne doit pas le perdre, non, non. J’essaie de la déranger le moins possible, que pour les affaires essentielles. Donc je ne lui parle pas, ou presque. Elle est là le matin, elle quitte après la troisième prière. Et je reste seul jusqu’au lendemain matin. Mais el hamdouli'Allah.

Il voulut savoir s’il y avait beaucoup d’argent à faire dans mon pays.

Il souhaitait venir pour améliorer son sort. Comme plusieurs personnes ici d'ailleurs. Il me demanda si je pouvais l’aider là-dessus. Comment refuser d’aider une personne qui ne demande qu’à vivre la même vie que moi? Nous nous échangeâmes nos numéros. Puis il se leva: des vaches s’en venaient, et il les nourrit avec les mangues qu’il avait en trop.

Je sais qu’il ne pourra jamais venir ici. Il ne semble n’avoir aucune expertise dans aucun domaine particulier. Et le processus d’immigration ne favorise que la venue des “meilleurs”. Afin que ce pays reste parmi les “meilleurs”. Je crois qu’il le comprit: la première semaine on s’échangea quelques messages, la seconde beaucoup moins, et plus rien arrivé à la troisième.
Il ne s’est jamais rendu à la porte pour pouvoir y cogner dessus.

Et pourtant, Momo possède un bien meilleur cœur que la majorité des gens dans cette vie. Mais ça, tout le monde s’en fout. Et apparemment, ce n’est pas suffisant pour aspirer à une meilleure existence.
Image de couverture de Abyan Athif
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