Dans l'ambulance, Tess et moi avons l'air misérables, les effets intenses du cannabis persistent. On est attachées à nos civières comme si on était des folles furieuses. Tess crie au jeune ambulancier «J'sens plus mes jaaaaaaaaaaaaaambes !». Il touche la jambe de Tess et demande «Tu sens ma main sur ta jambe ?». Elle fait signe que oui en gémissant. L'ambulancier répond «Et bien tu sens tes jambes.». Hébétée, Tess crie à nouveau sans trop comprendre «AHHHHHH, je sens pas mes jambes !». Le jeune ambulancier ne peut s'empêcher de sourire et se retient de rire devant autant de stupidité humaine. «Auuudrey, t'es où ?» raille Tess. «Je suis là !» dis-je, voulant me faire rassurante pour ma meilleure amie poquée.

Puis moi, j'en rajoute une couche, le tout devient encore plus ridicule. J'observe le visage du jeune ambulancier. Il a des traits exotiques. Je lui demande d'une voix enrouée «C'est quoi tes origiiiiiiiines ?». Il me regarde avec pitié et répond gentiment qu'il est autochtone. En moins d'une seconde, je deviens un moulin à paroles. «OH MY GOD. On a tout appris ça en univers social au primaire ! Y'a les Algonquins, les Mohawks, les Micmacs, les Abénaquis, les Inuits…» S'il avait pu me mettre du ruban adhésif sur la bouche, je crois qu'il l'aurait fait. J'ai de la difficulté à nous situer, je ne fais que sentir les vibrations du véhicule en route vers l'hôpital.

Enfin, on arrive aux urgences au beau milieu de la nuit. On nous installe dans des fauteuils roulants parce qu'on arrive à peine à tenir debout sans nous baver dessus. S'ensuit la plus grosse honte de ma vie. Les infirmiers nous amènent dans les couloirs de l'hôpital en fauteuil roulant. On déambule comme des bêtes de foire. Évidemment, je suis encore en mode moulin à paroles sassy à faire des «Alllloooooo !» au personnel médical et Tess est toujours perdue dans son monde intérieur. Étrangement, elle n'est pas capable de parler directement aux gens, sauf à moi, qui lui sers d'intermédiaire. Et lala…

Recroquevillées, on défile devant l'entièreté des urgences et on passe avant des gens qui attendaient là depuis plusieurs heures (désolée). J'entends une infirmière nous classer dans les «cas majeurs». Tess et moi sommes gravement intoxiquées au THC. Les émotions me submergent et je regarde avec mes yeux vitreux l'infirmière en chef au triage. «Je suuuis dééééésoléééée ! Je sais que votre travail est diiiiificcile et que ça vous demande beauuucouuup de compassioooon.», dis-je en pleurnichant. L'infirmière me regarde avec des yeux glacials et me dit sur un ton encore plus glacial «En tout cas, moi j'ai pas de compassion pour ÇA...». Ouf!

Ensuite, on nous installe dans des lits à l'unité des cas majeurs. Tess et moi sommes changées en jaquette d'hôpital, on nous insère un soluté par intraveineuse, une pince au doigt pour mesurer notre rythme cardiaque et un bouton rouge d'appel dans l'autre main.  On est déshydratées et nos cœurs battent trop vite. Nos lits d'hôpitaux sont séparés par un rideau blanc. «Auuudreyyy  ! T'es où ?» répète Tess. Toujours aussi sûre de moi, je lui répète «Je suis juste à côté de toi !». Tandis qu'on essaie de récupérer en attendant que les effets du cannabis s'amoindrissent, tout le personnel infirmer passe la nuit à rire de notre gueule. À leur place, j'aurais fait pareil.

Plus tard, Tess, encore dans les vapes, me dit d'une voix fluette «Audrey ? J'ai envie de pipi…». En tant que porte-parole officielle de ma meilleure amie intoxiquée, je me mets à crier aux (très patientes) infirmières «Madame ! Madame ! Mon amie veut pisser !». Comment fait-on pisser une jeune femme trop high pour bouger ? Dans une bassine en plastique directement dans son lit bien sûr…eh oui, on a pissé dans des bassines. Comme des petits vieux incontinents, le sexe à l'air devant une infirmière quinquagénaire qui en a vu d'autres. Ça donne vraiment l'impression de se pisser dessus. Pathétique.

Au cours du reste de la nuit, j'ai de la difficulté à m'endormir. Dès que le sommeil me gagne, je ressens un vertige et me mets à convulser parce que j'ai l'impression de «tomber». Finalement, la nuit passe, on dort, on nous fait boire de l'eau et les effets du cannabis finissent par se dissoudre.

Le lendemain, je me sens comme si j'avais été écrasée par un 18 roues. Humiliée, crevée, mal en point, mais vivante, j'appelle Tony pour qu'il vienne nous chercher après que Tess et moi ayons reçu notre congé. Il arrive plus tard, frais comme une rose, puis on s'en va les trois ensemble dans un resto à déjeuner. Je n'ai pas faim. J'ai juste envie de rentrer chez moi, d'être seule et de dormir pour un siècle.

Je dis à Tony d'aller me porter chez moi, mais il insiste pour que je retourne dormir chez lui, probablement parce qu'il ne veut pas que ma mère me voie dans cet état et le soupçonne d'en être responsable. Je lui en veux d'avoir forcé la dose sur le cannabis, mais je suis trop faible pour m'obstiner. On s'arrête prendre des vêtements chez moi, ma mère me regarde. J'ai les yeux teintés de rouge et l'air épuisé, mais je la rassure en lui disant que tout va bien et que je retourne chez Tony. Elle semble suspicieuse, mais refuse elle aussi de s'obstiner avec moi.

Par la suite, Tony va reconduire Tess chez elle et nous ramène chez lui. Je m'effondre dans le lit, où il me rejoint pour dormir. Il commence à me coller, alors que je lui dis que j'ai besoin d'espace. Comme d'habitude, il ne respecte pas mes limites. Il me fait comprendre qu'il aimerait qu'on ait des rapports sexuels. Tu me niaises-tu t*b*r*n*k ? Je viens de passer la pire soirée de ma vie, j'ai fait une surdose de cannabis, j'ai passé la nuit à l'hôpital...Et lui, il trouve encore le moyen de penser ne qu'à lui ? En plus, il essaie de me faire sentir mal de refuser ?!

Ça y est. C'est la goutte qui fait déborder le bong. J'en ai plein le c*l de Tony, de sa consommation de cannabis et de son caractère égocentrique. Je lui réponds avec des yeux de furie que je veux dormir seule. Il me pique une colère, comme un enfant gâté qui fait une crise du bacon à l'épicerie. «Non, mais assez c'est assez !», me suis-je dit. C'est décidé, je vais rompre avec Tony. J'en peux plus de son attitude de marde.

Évidemment, mettre un terme à une relation avec un chum toxique n'est pas aussi simple.

À suivre…

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Source image de couverture : Unsplash

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