Comme beaucoup de jeunes femmes célibataires, j'ai téléchargé l'application Tinder pour faire des rencontres et briser l'ennui de la solitude. Laissez-moi vous dire qu'après deux jours, j'avais développé un dégoût si intense envers l'humanité que je me suis empressée de supprimer l'application pour de bon. Le cyberharcèlement, la vulgarité, le manque de savoir-vivre et la misogynie forment les nouveaux codes sociaux de cette jungle numérique. Sincèrement, j'aime mieux rester célibataire que de retourner dans le Far West des apps de rencontre.
Avec une moyenne de 66 millions d'utilisateurs mensuels (Reuters), Tinder domine le marché des applications de rencontres. Selon une enquête publiée dans le journal Le Monde en 2019, l'application réussit à engendrer des profits sur le dos de la frustration masculine. Cette dernière est causée par l'écart énorme entre le taux de match des femmes (50%) et celui des hommes (un maigre 2%) en quête d'une relation hétérosexuelle. Sans oublier le fait qu'on estime que la population de Tinder se composerait de 72% d'hommes, comparé à 28% de femmes, créant ainsi le phénomène que j'appelle « une poignée d'agneaux dans une bergerie surpeuplée de loups affamés ». Évidemment, Tinder vient à la rescousse de ses utilisateurs masculins laissés pour compte en leur offrant des options payantes comme Tinder Boost ou Tinder Gold, qui leur permettent d'obtenir plus de visibilité sur l'app. À l'aide de cette stratégie marketing, Tinder est aujourd'hui évalué à près de 10 milliards de dollars américains.
D'après ma courte expérience, ces chiffres font du sens et pourraient expliquer certains comportements dont mes amies et moi avons été témoins. Par exemple, pour faire ma petite expérience, j'avais choisi comme photo de profil l'image d'un cadre de porte, et ma bio, ne faisant aucun sens, ne disait rien à propos de moi. Pour être encore plus baveuse, j'avais adopté comme prénom « Tamère » et comme nom de famille « Enshort ». Malgré tout le grotesque de la situation, j'obtenais tout de même un puit sans fond de matchs. Les femmes sont donc sursollicitées, peu importe la valeur de leur profil.
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Une autre fois, j'avais créé un vrai profil avec ma vraie photo. Certains de mes matchs faisaient quelques efforts pour amorcer une conversation courtoise, mais la plupart d'entre eux, sans même dire un simple bonjour, allaient directement vers la sollicitation sexuelle ou les conversations à caractère sexuel, envoyaient des dick pics non désirés, étaient agressifs verbalement afin d'obtenir des photos explicites, et allaient jusqu'à me lancer des propos injurieux lorsque je n'obtempérais pas. À l'image des réseaux sociaux, ces hommes n'oseraient (probablement) pas agir de la sorte s'ils devaient se trouver en face de moi, car dans le monde numérique, le fait de socialiser derrière un écran plutôt qu'en personne peut pousser les utilisateurs à devenir paresseux dans leurs aptitudes sociales et à laisser tomber les règles de base du savoir-vivre. Selon un rapport de l'ONU sur la violence en ligne à l'égard des femmes et des jeunes filles (2015), « 73% des femmes ont déjà été confrontées, d'une manière ou d'une autre, à des violences en ligne ou en ont été victimes », particulièrement celles âgées de 18 à 24 ans.
Ne pas pouvoir juger devant soi la personne avec laquelle on échange sur Tinder peut aussi être dangereux. Je pourrais très bien être un homme et me faire passer pour une fille (ou vice-versa), demander un rendez-vous, me pointer là-bas avec une belle promesse de rapport sexuel, pour finalement être un sadique tueur en série. Un catfish assez gore, mais pas impossible. Une personne mineure pourrait se créer un faux profil en mentant sur son âge et tomber sur un prédateur sexuel quémandant des photos osées, pour ensuite subir du chantage dans une tentative d'extorsion. C'est peut-être paranoïaque, mais on ne peut jamais savoir à 100% à qui on a affaire sur les applications de rencontre et les réseaux sociaux. Les cas de vols d'identité ou d'agressions sexuelles impliquant Tinder ne sont pas marginaux et doivent pousser les utilisateurs et utilisatrices à faire preuve de prudence quant aux personnes avec lesquelles ils vont échanger et rencontrer sur cette plateforme.
Sans nécessairement aller dans les extrêmes, il n'empêche que de faire des rencontres sur Tinder, qu'elles soient de nature sexuelle, amoureuse ou amicale, reste la plupart du temps artificiel et peut manquer d'humanité. Les applications de rencontres comme Tinder permettent au capitalisme et à la société de consommation de s'infiltrer dans nos relations interpersonnelles pour mieux les ruiner. Les gens deviennent des produits jetables et interchangeables, les rapports sociaux deviennent des transactions. On peut « magasiner » sa prochaine date, l'utiliser temporairement pour assouvir un besoin et passer à un autre numéro le lendemain. Les conversations sont sommaires et restent en surface. On ne prend même plus la peine de faire une activité, on va directement chez l'autre pour conclure la transaction sexuelle. Tinder a permis de former des couples, vrai, mais ceux-ci forment l'exception à la règle de la culture des relations sans lendemain derrière l'app. Bien sûr, cette culture existe aussi en dehors d'Internet. Par contre, le caractère instantané et facile de Tinder exacerbe ce phénomène. Il n'y a pas de problème tant que les deux parties sont consentantes et qu'elle se sont entendues sur la nature de leur relation. Toutefois, il faut avouer que cette façon d'entrevoir nos rapports sociaux est assez déprimante pour plusieurs personnes, dont moi.
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Je n'ai absolument rien contre les personnes qui utilisent Tinder ou d'autres applications du même genre. Je connais des personnes qui ont trouvé l'amour sur cette plateforme et il faut admettre que c'est un moyen simple et rapide de faire des rencontres. Néanmoins, les relations interpersonnelles devraient être tout sauf simples et rapides. Sur Tinder, j'ai pu constater les pires facettes de l'être humain et comment la technologie change notre façon d'interagir avec les autres. Même si ces applications deviennent la norme chez les jeunes pour rencontrer, je m'obstine à penser qu'on peut toujours trouver quelqu'un par l'intermédiaire des hasards de la vie et des destins qui s'entrecroisent soit au travail, à l'école ou autre lieu social. On n'est jamais vraiment soi-même sur ces apps étant donné qu'on cherche activement et consciemment quelqu'un correspondant à nos critères. On se présente sous son meilleur jour et l'écran nous enlève la possibilité de jauger un caractère, d'entendre la voix, de sentir l'odeur ou bien d'avoir un contact visuel. Il n'y a pas de place au naturel. On vend l'image de soi qu'on expose, l'idée que l'autre peut se faire de nous. Pour toutes ces raisons, j'enlève mon chapeau de cowboy et je quitte le Far West sans regarder derrière.