Être grosse et enceinte vient avec son lot de préjugés et de problèmes. J'en ai déjà fait mention par le passé dans cet article. Cependant, il y a quelque chose qui reste avec le temps que je n'avais pas prévu et dont je ne me doutais pas. Un sentiment qui s'émerge de plus en plus sous ma bedaine maintenant bien présente.
Je suis lasse.
Dernièrement, j'ai eu cinq rendez-vous médicaux en trois jours pour ma grossesse. Trois à l'hôpital, un à ma clinique de gynéco et un au CLSC. Dans chacun de mes rendez-vous, on m'a confronté à mon poids.
Je suis 100% consciente que le poids en trop peut faire une différence dans une grossesse. Je ne demande pas de ne pas être averti des risques ou des conséquences. Mais je demande cependant un peu de dignité et de ne pas assumer d'emblée plusieurs choses en se fiant seulement à mes kilos en trop.
Lors de mon premier rendez-vous, on a pris ma pression.
Elle n'était pas haute, mais limite. Ma pression a toujours été limite, même avant la grossesse. Encore une fois, pas haute, mais à surveiller. Et chaque fois, on ne me laisse pas tranquille. On me dit que ma pression est bonne, qu'on devrait me voir juste si elle augmente.
Mais on continue de me suivre, au cas où.
Mon deuxième rendez-vous était celui pour voir si je faisais de l'apnée du sommeil.
Un problème qu'on relit souvent au poids. Je ne fais pas d'apnée du sommeil, mais on m'a dérangé avec ça depuis le tout début de ma grossesse.
Au cas où, vous comprenez.
Mon troisième rendez-vous était une échographie dans l'aile des GARE (grossesse à risque élevé).
J'en suis à 32 semaines de grossesse. Ce n'est pas la médecin qui me suit habituellement. Dès que je me couche, elle me demande comment je gère mon diabète de grossesse. Je réponds que je n'en fais pas. Il y a un silence. Elle n'a pas lu ses dossiers, où il est clairement indiqué que je ne fais pas de diabète de grossesse, et elle a simplement assumé que j'en faisais. Je me demande bien pourquoi? Elle commence l'échographie. Autre moment de silence. Je la vois froncer les sourcils en promenant la machine sur mon ventre. Je lui demande ce qu'il y a. Elle dit qu'elle ne voit pas bien. Je lui demande pourquoi. Et me regarde directement dans les yeux et me dit : Parce que vous êtes obèse, madame!
Un autre silence. Je dois avoir l'air abasourdie, car elle ajoute : Je ne veux pas vous mentir, je vous dis juste la vérité!
J'ai pris un moment de réflexion. J'ai travaillé longtemps dans le service à la clientèle. La fameuse phrase ''le client a toujours raison'' n'est pas vrai. Mais le client n'est pas censé le savoir. On peut servir quelqu'un de particulièrement désagréable et bien faire son travail tout en restant courtois. Ne pas se laisser les autres influencer notre travail, c'est la base.
Je me suis donc demandé pourquoi cette personne devait absolument me faire sentir mal d'avoir plus de difficulté à faire son travail. Je ne suis pas un Karen, mon but n'est pas de rendre sa vie difficile. Je ne fais pas exprès et je ne cherche pas la marde. Je viens avec l'idée que je vais voir mon bébé pendant quelques minutes. Que c'est censé être un moment de joie pour moi, que de le voir bouger. Et, qu'à chaque fois, on me remet dans la face que ma condition d'obèse affecte leur travail. C'est ça, un travail! Il y a des journées où ça sera plus facile, d'autres, un peu moins. La personne devant toi ne devrait pas avoir à en souffrir.
Après avoir passé à travers tout cela dans ma tête, je lui ai demandé si j'étais la première grosse personne enceinte qu'elle traitait. Elle m'a répondu que non, mais que c'était toujours difficile, avec une toute petite voix. Autre moment de silence. Somme toute, elle est simplement en train de me dire que les appareils qu'ils utilisent dans un endroit pour les grossesses à risque élevé ne sont pas adaptés à leur clientèle probablement principale? Qu'est-ce que ça dit sur le monde médical exactement?
Tout en continuant d'effleurer mon ventre dans l'espoir de voir quelque chose, elle me demande comme va ma grossesse. Je lui réponds que malgré mon obésité, tout va très bien. Pas de diabète, pas de prééclampsie, pas de problèmes. Je sais que je fais mentir les statistiques et je ne m'en excuse pas. Elle prend alors une voix enjouée, j'espère petite sans ses shorts, pour me montrer mon fils qui bouge. La partie le fun que j'aurais voulue dès le début et que je ne suis plus capable d'apprécier. Je suis mentalement épuisée.
Je sors de là avec une feuille à remettre à ma médecin au rendez-vous du lendemain.
Il y est inscrit ''échographie techniquement difficile''. Mais aussi de bonnes nouvelles sur mon liquide amniotique (il y en a assez!), mon placenta (il est encore assez épais!), la grosseur de mon bébé (dans le milieu du milieu des percentiles!) ainsi que sa position (la tête en bas!). D'autres statistiques qui sont contre moi, mais que j'écrase, avec mes pas de madame obèse.
En revenant chez moi, j'ai une pensée pour toutes celles qui ne se sentent pas bien dans leur peau et qui n'auraient pas su quoi dire. Je pense à celles qui sont moins outillées que moi dans le sujet de la grossophobie et qui sont habituées de se faire marcher dessus. Pas parce qu'elles ne sont pas fortes ou capables de se défendre, mais simplement parce que personne ne leur a dit que ce n'était pas correct.
Je pense à elles et j'ai envie de changer les choses.
Parce que chaque femme mérite de vivre ce moment d'euphorie et de paix lorsqu'elle aperçoit cette tache grise foncée sur un écran gris pâle. Peu importe son poids.
Source de l'image de couverture : Real Mom-ish