Il y a de ces choses qu’on ne dit pas. Celles qu’on énonce sans le vouloir à trois heures du matin, en oubliant qu’il y aura un lendemain. Celles qu’on confie à une personne, une seule, pour déposer un peu de son fardeau sur son épaule, pour le manifester concrètement. Celles qu’on ne dira jamais, qui mourront au moment où notre existence s’éteindra aussi. Ces choses qu’on ne dit pas, perchées sur l’échelle au fond de nos gorges, près du précipice, si près de la dégringolade hors de nos bouches, de prendre forme dans l’air, ces choses qu’on ravale.
Il y a des ces choses qu’on ne dit pas, qui ne se disent pas. Comme la fois où les personnes qui comptaient le plus à nos yeux nous ont ruinés, nous ont saccagés, nous ont pulvérisés. Comme l’énième fois où les hommes n’ont pas écouté, écouterons-t-ils jamais, comme l’énième fois où ils se sont appropriés quelque chose qui ne leur appartenait pas sans permission. Comme toutes les fois de trop où des hommes ont pris les armes pour se battre contre des ennemis imaginaires, la religion, l’ethnie, la différence. Comme la fois où notre peuple a emprisonné ceux qui croient aux esprits de la terre dans des réserves, comme la fois où nous les avons cachés et presque oubliés. Presque. Comme la fois où une personne chère s’est endormie, mais pour un peu plus longtemps que d’habitude, vous comprenez, comme la fois où cette personne s’est endormie pour une sieste qui durera toujours. Ces choses, on n’en parle pas, n’en parlais pas, n’en parlerons pas. Comment pourrait-on le faire?
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Il y a de ces choses qu’on ne dit pas, qui nous consument à petit feu, qui nous grugent de l’intérieur comme une souris vorace cachée dans les murs d’une maison. Ces choses pourrissent à l’intérieur de nous, rancissent, suintent leur noirceur sur nos humeurs. Bien qu’on les cache, qu’on les camoufle, qu’on les oublie, même, elles finissent toujours par refaire surface. Quand nos têtes se transforment en épaves et que ces choses périment lentement à l’intérieur de nous, on finit toujours par laisser une odeur de moisissure derrière son passage.
Ces mots-otages, qu’on garde captifs à l’intérieur de soi, on les endure jusqu’à ce qu’ils se soient tant nourris de nos peaux, nos têtes, notre temps; jusqu’à ce qu’ils soient trop gros pour être gardés en cage, jusqu’à ce qu’ils soient trop forts pour être retenus. On les endure jusqu’à ce qu’ils débordent, jusqu’à ce qu’ils explosent et qu’on les vomisse sur le sol.
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Ces choses, même si elles sont tues, sont celles qui se font le plus entendre, celles qui crient plus fort dans nos têtes.
Il y a toujours de ces choses qu’on ne dit pas, mais on devrait.