L’une des plus grandes craintes pour un parent est de recevoir un appel de l’hôpital au sujet de son enfant accidenté. Jamais. Au grand jamais, je n’aurais cru faire subir cette angoisse à mes parents. Tous les jours, ils me répétaient la même chose « Fais attention à toi », « Un accident est vite arrivé », « Regarde bien avant de traverser la rue », « Ne marche pas trop près du bord de la route », « Prends toujours les passages piétons », oui, bien sûr, maman. Oui, bien entendu, papa. Ne vous inquiétez pas. Je suis une grande fille maintenant.

Je n’avais pas conscience à quel point il était important pour eux de me prévenir. Cela me paraissait étouffant à l’époque.

Étant une jeune femme dans la vingtaine d’années, je détestais qu’on me dise que faire et comment le faire. J’avais l’impression qu’on me prenait pour une idiote. Je m’en rends compte aujourd’hui. Ma sécurité était l’unique arrière-pensée qu’ils avaient. Parce qu’ils m’aimaient.

Comme si le temps s'était arrêté…

Au moment de l’impact, je me suis seulement demandé ce qui se passait. C’était comme si… le temps s’était arrêté net. Que se passe-t-il ? J’étais en train de traverser une rue déserte à l’instant. Qu’est-ce qui me frappe ? Une voiture ? D’où sort-elle ? Pourquoi ne l’ai-je pas vu avant de commencer mon acheminement ? Vais-je mourir ? Que vais-je dire à mes parents ? Comment le dire ? Je ne veux pas qu’ils s’inquiètent. Comment vont-ils réagir ? Vais-je aller à l’hôpital ? Que vais-je faire pour m’en sortir ? Toutes ces questions… J’ai eu le temps de me poser chacune d’entre elles lors de l’impact. Avant même de toucher le sol…

Tout semblait irréel. Je me rappelle comme si c’était hier. Je n’entendais plus rien. Même si ce fut bref. Quelques secondes tout au plus. J’avais eu l’impression que ça avait duré des minutes ! Je ne ressentais rien. Aucune douleur. J’étais seulement secouée. En état de choc. Et soudain, j’avais cessé de penser.

J’observais la femme, qui m’avait accidentellement fauchée, sortir de sa voiture en panique. Tout était au ralenti. Je pouvais lire sur ses lèvres. Ne bouge pas ! Es-tu correcte?! Elle pleurait et, à voir sa réaction, je n’étais absolument ‘pas’ correcte.

Je me rappelle dans les moindres détails l’état dont j’étais prisonnière. Je voulais me déplacer. Je cherchais mes choses qui s’étaient éparpillées un peu partout. Je me souviens de ses bras qui m’encerclaient pour m’empêcher de me blesser davantage. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne voulait pas que je bouge. Un seul but en tête. Ramasser tout ce qui était tombé de ma sacoche.

C’est fou comme nos pensées sont étranges dans ces moments. Mon stylo par terre était plus important que ma propre vie. C’est à ne rien y comprendre…

Je me souviens de la seconde où j’avais remarqué la couleur de mon sac à main qui avait changé. Il était passé du blanc au rouge sang.

Submergée par un sentiment de regret

Je m’étais mise à observer partout autour de moi. Des gens s’arrêtaient et me regardaient avec un air étrange. C’était un mélange entre la peur et la pitié. J’ai pensé « Vais-je mourir ? » Je me demandais pourquoi tout le monde paniquait autant. « J’ai survécu, n’est-ce pas ? » En fait, je ne savais plus trop. Je m’étais ensuite mise à douter. Étais-je réellement consciente ? Je ne savais plus si tout cela était réel. Peut-être étais-je déjà partie pour l’autre monde. C’est ce que j’avais commencé à imaginer.

« Ne bouge pas », « Une ambulance va bientôt arriver », « Ne t’inquiète pas », « Tout va bien aller » . Même si on me disait ça, je n’écoutais pas. J'imaginais mentalement tout ce que j’avais manqué. Mon rêve le plus cher ne s’était pas encore réalisé. Je n’avais encore jamais connu l’amour. Toutes ces choses dont je rêvais… réduites à néant.

La culpabilité m’avait envahie. Victime d’innombrables regrets. Je m’injuriais. J’étais tellement en colère contre moi-même. Qu’aurais-je pu faire pour avoir une meilleure vie ? Si c’était à refaire… je changerais certainement ! Une liste de toutes les activités et aventures que je voudrais vivre, j’écrirais. Je ferais tout pour atteindre mes objectifs. Je me visualisais ailleurs, vivre ma meilleure vie. Mais tout à coup, tout s’écroula.

Les sirènes de l’ambulance m’avaient ramené à la réalité.

Saisir cette deuxième chance

J’avais repris mes esprits peu de temps après. Pendant le trajet vers l’hôpital, les ambulanciers étaient si calmes et professionnels. Cela me rassurait. J’avais le sentiment que tout irait bien dès lors.

Cet accident m’a fait réaliser à quel point la vie est précieuse. En un seul instant, j’avais aperçu les portes de la mort. On ne réalise pas combien la vie est précieuse avant de vivre ce genre de situation. Ces circonstances dans lesquelles, en une seule seconde, tout s’affaisse autour de soi. Quelles sont les images qui paradent dans ta tête ? Quelles sont les pensées qui guident ton esprit ? C’est parfois en étant à la lisière de la vie que tu réalises qu’elle n’est pas comme tu l’as désir. Tu repenses à toutes ces choses qui te sont passées à côté et tu regrettes…

Je me suis rendu compte ce jour-là que je me trompais sur tout. En aucun cas, je n’aurais prévu être victime d’un accident de la route. Ni même que cela pouvait être possible. Toutefois, je m’en suis sorti plus forte que jamais.

J’ai réussi à chasser le traumatisme qui me guettait. Suite à mon accident, je n’étais même plus apte à traverser la rue toute seule. Je revoyais la scène à chaque fois. Et si cela se reproduisait ? Et si je n’étais pas chanceuse comme la première fois ?

J’ai mené à bien ce combat intérieur entre cette anxiété et moi. Je vis aujourd’hui comme j’ai toujours voulu vivre. Je fais ce dont j’ai envie et j’essaie d’en profite au maximum. J’expérimente. Je m’amuse. Je détruis les barrières qui bloquent mon chemin. Les regrets ne sont plus les bienvenus !

On ne sait jamais ce qui va arriver demain. J’en suis amplement consciente. Je parle aujourd’hui de mon accident sans avoir tous ces horribles flash-back. Je suis en mesure d’en parler ouvertement et aviser les gens sur mon vécu.
Image de couverture de Chris TDL
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