Aujourd'hui, je marche la tête bien basse dans les rues de Montréal. Le 1er juillet est censé être un jour de célébration. Célébrer notre pays dans toute sa splendeur, un pays libre et inclusif. Pourtant, je n'ai pas envie de fêter. Aujourd'hui, je marche la tête basse, en portant le poids de la honte d'une nation sur mes épaules. Aujourd'hui, je ne suis pas fière de mon pays.

Mon pays, il est censé être beau et grand. Lors de mes voyages, j'ai toujours dit avec beaucoup de fierté que j'étais Canadienne. Ça me semblait être un mot dont on pouvait être fier, non ? Un pays pacifiste où il fait bon vivre. Partout dans le monde, le Canada est considéré comme l'ombre des États-Unis, comme un pays pour les gens qui chassent l'orignal en buvant une bière. Et même si cette vision est éloignée de la réalité, elle ne m'empêchait pas de montrer toute la fierté que j'avais pour mon pays. Nous ne sommes pas aussi puissants que les États-Unis, que la Russie, et que la Chine, mais la vie y est beaucoup plus simple et plus belle. Pas d'armes dans les rues, entre les mains des enfants, moins de tueries et beaucoup plus de liberté. Voilà comment j'aime mon pays.

Bien sûr, je ne suis pas non plus naïve. Je ne considère pas le Canada sur un piédestal, loin de là. J'ai toujours pensé que la religion catholique était aussi pire que les autres religions en termes de barbarisme. Et là, je ne veux pas dire toutes les religions. Seulement les croyants qui vivent constamment dans l'extrême. Tu peux pratiquer ta religion en respectant celles des autres, sans tuer une poignée de personnes pour faire valoir tes opinions. Alors non, pour moi, le Canada n'était pas blanc comme neige. À l'école, on nous enseigne comment Christophe Colomb a découvert l'Amérique et a colonisé tout un pays. On nous dit que les Autochtones qui étaient là bien avant nous sont morts de maladies amenées par les Européens. Qu'ils vivaient en retrait dans leurs maisons longues et leurs tipis.

Aujourd'hui, je nage dans la colère et dans l'incompréhension. Je savais que notre histoire n'était pas toute belle, mais jamais je n'aurais pu imaginer que notre pays a été le théâtre d'un génocide. Pas nous, pas le pays duquel je suis si fière. Mes livres d'histoire me semblent si loin de la réalité maintenant, et je me sens comme un mouton pour la première fois de ma vie. On nous a forcés à apprendre une belle réalité idéaliste qui cachait pourtant quelque chose de bien sombre. Les corps de milliers d'enfants enfouis sous le sol de dizaines de « pensionnats ». Des enfants qu'on a essayé d'assimiler par la torture. De convertir, de coloniser. Des enfants qui n'avaient rien demandé sauf de vivre avec leurs croyances et leurs traditions sur une terre qui leur appartenait.

Souliers autochtones disparus

Source de l'image : Radio-Canada

J'ai mal à notre éducation. J'ai honte d'avoir appris à dessiner des « indiens » avec leurs plumes et leurs maisons longues, d'avoir appris leur cri comme si j'étais un jeu. Ce n'est plus tard que j'ai appris ce que voulait vraiment dire le cri des « indiens », main sur la bouche, qu'on nous apprenait à l'école et dans les films. Un tableau nettement moins beau que celui qu'on nous peint.

À huit ans, j'apprenais déjà à réciter tous les aliments que les « indiens » faisaient pousser proche de leur maison longue. Mais jamais on ne m'a dit pour tous ces Autochtones enfermés dans ces camps de concentration qui ne mangeaient pas à leur faim. Et pourquoi arrête-t-on de parler des Autochtones dès le primaire ? Pourquoi n'en parlons-nous pas au secondaire, quand les enfants sont maintenant assez grands pour qu'on leur dise « les vraies choses » ? Pourquoi cacher et nier une telle partie de notre histoire remplie d'atrocités ?

École classe

Source de l'image : Unsplash

Avant la découverte des tombes anonymes, je ne m'étais jamais intéressée au sang autochtone qui coulait dans mes veines. Pour moi, ce n'était que de l'histoire ancienne ; je n'ai pratiquement pas connu mon arrière-grand-mère, décédée en 2003. Maintenant, je me pose mille et une questions sur mes origines, sur mes ancêtres. Sur ce qu'ils ont vécu à l'époque. Ont-ils connu une belle vie malgré la colonisation ? Es-ce qu'ils ont connu le bonheur ou sont-ils décédés dans des camps de concentration ? Ont-ils déjà payé les frais du racisme systémique qui sévi au Québec, au Canada ? Leurs réserves ont-elles déjà manqué d'eau potable parce que les hommes blancs ne partageaient leurs croyances ?

Et je pense aux ancêtres de cette fille que j'ai rencontrée il y a quatre ans et qui m'a tant bouleversé. Une adolescente autochtone - je ne me rappelle plus de son origine précise - de Sept-Îles qui, après trois psychoses, souffrait de schizophrénie et d'une panoplie d'autres maladies mentales et neurologiques. Cette adolescente qui habitait dans sa réserve et qui, à l'âge de seize ans, était toujours en secondaire 2 parce qu'elle n'allait jamais à l'école. Elle manquait les cours pour aller se défoncer sur une substance X, celle qu'elle avait sous la main, ou sinon elle buvait.

On parle toujours de ces stéréotypes par rapport aux communautés autochtones comme quoi le taux de décrochage scolaire et de suicide est plus élevé, d'alcoolisme et de toxicomanie aussi. Mais leur avons-nous déjà posé la question à savoir pourquoi cette adolescente de 16 ans préférait se droguer plutôt que d'aller à l'école ? Qu'est-ce que tout un peuple peut bien porter comme poids pour que leurs conditions de vie soient si difficiles ? Le poids de dizaines de milliers d'autochtones qui ne demandaient qu'à être humain et à qui on a enlevé la vie. Voilà ce qu'ils portaient à l'époque et ce qu'ils continuent de porter aujourd'hui.

Certains diront « c'est du passé, ça fait longtemps qu'ils sont morts » et donc, ça n'existe plus. Mais c'est faux. Évidemment qu'aujourd'hui, il n'y a plus de tels pensionnats. Mais tous les jours, les peuples autochtones sont la cible de racisme. Ce n'est pas normal qu'en 2020 et 2021, tu ne sois pas capable de recevoir des soins à l'hôpital parce que tu es Autochtone. Ce n'est pas normal que tu n'aie pas accès à l'eau potable alors que le pays entier en a, sauf les réserves autochtones.

Pieds bébé

Source de l'image : Unsplash

Lorsqu'ils seront à l'école, je veux que mes enfants apprennent la réalité sur leur pays. Je veux qu'ils ressentent cette honte face au Canada, qu'ils sachent que tout n'est pas rose. Que ces communautés ont souffert et qu'on doit se réconcilier avec elles. Je veux que mes enfants travaillent pour que les femmes autochtones ne disparaissent plus, pour que les enfants autochtones puissent aller à l'école jusqu'à leur majorité et même aux études supérieures. Je souhaite que si mon fils décide de faire sa vie avec une femme autochtone, qu'il n'ait pas peur de la perdre à l'accouchement parce qu'un médecin n'aura pas fait son travail.

Alors oui, aujourd'hui, je ne célèbre pas mon pays. Aujourd'hui, j'en ai honte. Et j'allumerai des chandelles à la mémoire de tous ces enfants qui ne rentreront jamais chez eux parce que le Canada n'a pas su les protéger.

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