Pourquoi ressent-on si fort et si souvent le besoin de nous plaindre?  L’humain est un animal grégaire et se lamenter, surtout de façon amusante, est une façon facile de se faire accepter dans un groupe.  D’obtenir de l’attention. Nous avons tant besoin de ce sentiment d’appartenance. Ces récriminations permettent de créer des liens rapides.  On se comprend, on se regroupe. Cependant,  c’est rare que le chialage ne se fasse pas aux dépens d’une personne, que ce soit d’un patron, d’un groupe, d’un collègue, de client. Ces absents sont toujours un peu ridiculisés pour faire rire, des fois sans réelle méchanceté, mais on s’en moque quand même. Pour entendre qu’on a raison, qu’on est donc bons, ou meilleurs, ou patients. Le chialage est souvent couronné de mots sympathiques tels que: « à ta place, je n’aurais pas été capable » ou « je ne sais pas comment tu fais ». Ça fait du bien d’entendre ces mots… mais c’est un plaisir passager. À long terme, à force de chialer, il est difficile de voir les gens positivement. Ça fait des années que j’ai pris conscience que je suis plus heureuse quand je chiale moins.

J’étais dans une rencontre informelle il y a quelques jours. Le genre de rencontres où le « small talk » règne. Chacun y est un peu par obligation et, pour passer le temps, raconte de petites histoires. Vous savez le genre qu’on colore pour rendre plus cocasses ou plus intéressantes. On s’y met souvent en valeur. Certaines d’entre elles concernaient le travail: les patrons se plaignaient de leurs employés, les employés de leurs patrons, les gens qui travaillaient en service clientèle étaient hilarants avec leurs histoires de clients difficiles, frustrés, désagréables ou simplement stupides. Une coiffeuse était particulièrement drôle en parlant de ses clients qui apportent des photos d’actrices d’Hollywood et espèrent leur ressembler suite à une coupe ou une coloration en oubliant que les cheveux ne refont pas la figure. J’écoutais tout cela en souriant, j’y ai pris plaisir même, mais… je n’avais rien à dire. Je me suis demandée si cette coiffeuse serait plus contente de rencontrer ses clients le mardi venu? Si ce patron qui avait tant dit à quel point les employés sont paresseux verrait les efforts qu’avait fait son employé pour terminer le dossier vendredi soir? Si cette secrétaire qui décriait les valeurs de son entreprise y arriverait contente le lundi matin?

Personnellement, je n’y arrive pas. Je ne peux pas grogner le samedi soir, même pour créer des liens, et arriver pleine de bonne volonté la journée suivante. C’est ainsi que j’essaie d’éviter ce genre de situation.  J’ai choisi d’être médecin vétérinaire et à l’autre bout de la laisse vient un client. J’ai choisi d’être entrepreneure et sans mes employés, je ferai faillite. Alors,  même avec les clients difficiles, je me répète que tous ceux qui viennent me voir ont au moins un intérêt commun avec moi: le bien-être de leur animal et que précisément à ce moment ils ont pris une bonne décision en consultant un vétérinaire. Des clients désagréables, qui négligent leurs animaux ou qui teintent les réseaux sociaux d’une version qui les avantage de leurs histoires, il y a en assez comme cela.  C’est d’ailleurs une des causes de dépressions majeures chez les vétérinaires.  Ainsi,  je n’ai nul besoin de m’enfoncer dans mes pensées en racontant combien le service client peut être parfois difficile. Je suis plus heureuse et probablement meilleure médecin vétérinaire quand je porte un filtre positif devant le regard que je pose sur les comportements de mes clients. En dehors du travail, j’aime mieux me rappeler de mes merveilleux clients amis des animaux plutôt que de me faire un capital de sympathie dans un groupe en parlant des plus difficiles.

De même, ma vie d’entrepreneure va mieux quand je vois mes employés positivement. C’est un choix que j’ai fait d’être patron, je l’assume. J’aurais toujours l’option de faire autre chose quand je serai tannée, je passerai alors à une étape. En attendant, pour offrir le meilleur de moi-même à mes équipes, j’ai besoin de les voir positivement et de me rappeler leurs engagements, leurs dévouements. Ainsi, je fuis aussi les discussions de corridors dans lesquelles les patrons se défoulent sur la difficulté de gérer des humains. Parce que le soulagement qu’apportera ces discussions ne sera que de courte durée, mais il laissera des traces qui teinteront mon jugement futur. Je suis une meilleure patronne quand j’aime mes employés.

D’ailleurs, pendant que j’étais à la rencontre informelle dont je vous parlais au début, j’ai deux jeunes vétérinaires de mes équipes qui ont publié sur un groupe Facebook fermé qui nous permet de communiquer entre nous, ce que je vous joins en capture d’écran. C’est cela que je veux raconter et me souvenir. Que bénévolement, j’ai des collègues qui se sont rencontrés un samedi après-midi pour travailler sur des fiches d’informations pour les clients qui serviront à améliorer la façon dont ils prennent soin de leurs animaux. C’est ce que j’ai envie de raconter et c’est ce genre d’histoires qui remplissent mon coeur et me rendent fière de mon équipe.

À titre de réflexion personnelle,  je vous donne un truc appris à une conférence pour les mamans de pré-adolescents. Il était expliqué que le groupe d’amis de notre jeune aura une influence très grande sur son adolescence. Ils recommandaient aux parents de faire prendre conscience au jeune de ce qui l’unissait à sa gang. Si c’était du chialage, ou de ridiculiser d’autres ados, il fallait lui demander si c’est vraiment ce qu’il veut être? Une des questions était: « si tu ne pouvais plus parler de ce sujet avec tes amis, de quoi parleriez-vous? ». Je trouve que cela s’applique  bien à notre vie d’adulte. Demandez-vous quels sont les liens qui vous unissent à différents groupes et interrogez-vous si c’est ce que vous voulez être? Personnellement, j’ai compris, il y a longtemps déjà, que je ne veux pas créer des liens sur du chialage parce qu’à long terme cela m’affecte plus que le petit bonheur de défoulement que la discussion aura créé à court terme.

Je ne veux pas être moralisatrice, loin de moi l’idée de penser que je suis rendue aussi hot que le dalaï-lama. Il m’arrive aussi de chialer dans ma vie personnelle, de me défouler un peu. En même temps, j’ai remarqué que mes trois meilleures amies ne pourraient pas être plus différentes les unes des autres. Leurs intérêts, leur mode de vie, leurs ambitions, leurs conjoints ne pourraient être plus différents. Vous devinez le point qu’elles ont en commun? Elles ne jugent pas. Presque jamais. J’aime m’en entourer.   Elles me font devenir une meilleure version de moi-même. Et les animaux aussi ne jugent jamais. C’est probablement une autre raison qui fait que je les aime tant.

crédits photos: Lucie Hénault
Source image couverture: pexel
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