Tu es une rêveuse avec un grand R. Idéaliste et romantique, tu es convaincue que la vie a bien plus à offrir que ce que la société tend à te le faire croire. Que derrière les malheurs véhiculés par les médias et le cynisme prudent de l’intelligentsia, la vie est grande, belle et magique.

Tu aimes particulièrement rêver au grand amour. Ton homme idéal? Un mélange de Dany Laferrière, Paul Auster et Hermann Hesse. C’est que tu as un faible pour les écrivains, les poètes. Des hommes qui, avant de prendre possession de ton cœur, enflamment ton cerveau. Avec leurs mots.

Comme la fois où tu es tombée amoureuse d’un chanteur populaire. Seule à ton appartement, tu buvais un apéro quand tu as entendu son dernier hit à la radio. Émue par le son de sa voix, touchée par ses paroles, tu as eu une envie irrésistible de lui écrire merci. De lui donner du beau. Sans attentes. Sans préjugés. Sans craindre d’être cataloguée de groupie ou que ton message se perde comme bouteille à la mer dans un océan de fans finis. Non, toutes ces pensées ne t’ont même pas effleuré l’esprit. Ton message était : Tout simplement, vous me touchez. Merci pour votre talent.

Les jours se sont écoulés. Tu as fini par oublier ton geste de générosité. Cependant, quelques semaines plus tard, le chanteur te répondait : Ça me fait vraiment plaisir. Et vous, que faites-vous dans la vie? Deux phrases, une question. Une question à laquelle tu devais répondre sans faute et sans fautes. Comme l’examen de ta vie. Examen que tu as réussi haut la main, car après plusieurs échanges de courriels enflammés, le chanteur te donnait rendez-vous un beau dimanche matin d’été indien, sur le parvis d’une église, pour ensuite t’emmener dans son grand château… Une dose de pure magie.

Mais il avait 39 ans et toi, 27. Il était riche et célèbre, et toi, pauvre et pas grand chose. Il était un prince et toi, un crapaud mal dans sa peau. Un crapaud qui, suite à cette rencontre, s’est pris pour un oiseau. Alors tu es montée haut, haut dans le ciel des espérances et tu as coassé Oui, je le veux! sur tous les toits. Tu te voyais déjà princesse, heureuse et mère de deux beaux enfants. Tu voyais grand. Mais tu as vite déchanté, car ton prince t’a dit désolé de la manière la plus romantique qui soit : en te composant une chanson dans laquelle il disait que votre amour était impossible. Un genre de Il suffirait de presque rien de Serge Reggiani. Message clair que tu n’as pas voulu comprendre. Alors tu lui as écris des tonnes de courriels remplis d’incroyables steppettes littéraires pour lui montrer à quel point tu étais extraordinaire (et désespérée) et qu’il avait tort de te rejeter. Des milliers de mots pour le convaincre qu'il devait te revoir (ou te faire interner). Mais il a tenu bon dans son non. Tu es donc retournée dans ta vie de has been wanna be, la tête entre les deux jambes, les joues rouges de honte.

Après avoir rêvé si haut, tu as chuté longuement. Tu as d’abord essayé de te réparer l’égo en sortant avec des artistes narcissiques qui en avaient trop : un animateur de radio, un écrivain… Pour finalement t’éprendre d’un biologiste qui ne ferait pas de mal à une mouche, donc encore moins à un crapaud? Erreur. Car cinq ans plus tard, le biologiste te plantait là.

Ta vie alors en pleine décomposition, tu t’es payé le spectacle de ton humoriste préféré, question de retrouver le rire qui semblait t’avoir définitivement quittée. Tactique qui a fonctionné, car tu es retournée chez toi ce soir-là avec les muscles de tes joues légèrement étirés vers le haut. Et ton cœur rempli de gratitude pour le bel humoriste.

Un mois plus tard, pendant que ton ex vidait l’appartement de ses dernières boîtes, tu écoutais l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit. Oh surprise, l’invité de l’émission était nul autre que l’humoriste. Encore une fois, ce dernier réussissait à te faire rire dans un moment difficile. Encore une fois, ton cœur était rempli de joie grâce à lui.

Deux mois plus tard, le lendemain de ton 35e anniversaire de naissance, nouvelle coïncidence : tu étais au spectacle de Louis-Jean Cormier et… Il était là. Il, lui, l’humoriste. Là, assis tout près de toi. Tellement près que tu aurais pu lui toucher le bras. Geste que tu n’as pas fait, par pudeur, timidité, respect. Mais il ne t’en fallait pas plus pour que ton cœur de grande rêveuse s’emballe et te dise : Et si c’était lui, l’homme de ta vie? Déjà, tu t’envolais… quand tu as frappé le mur sur lequel était inscrit l’humiliation subie auprès du chanteur. De retour les deux pieds sur terre, tu as fait une croix sur l’humoriste et tu as commencé à dater de vrais gars. Cette initiative tournant au cauchemar (voir Le grand méchant loup et Mauvaise langue), tu t’es refermée sur toi-même et t’es mise à écrire, réfléchir, méditer. Écrire, réfléchir, méditer. Beaucoup. Et tu as pris un plaisir fou à passer tes journées ainsi, seule avec ton nombril. Tellement que tu n’avais plus envie de retourner dans ta vraie vie, du moins celle que tu t’étais construite jusque-là, qui consistait principalement à faire un doctorat en psychologie.

Étrangement, à partir de ce constat, la vie t’a bombardée de petits hasards impliquant des hommes et des femmes de lettres que tu admirais. Comme voir Robert Lepage à ton gym le jour où ta sœur t’invite à sa pièce 887.

robert lepage

Source: l'actualité 

Comme penser croiser l’écrivain Matthieu Simard dans le parc Lafontaine pour finalement le croiser deux secondes après, au parc Laurier. 

Matthieu Simard

Source: Soglides 

Comme apercevoir Kim Thúy dans sa voiture alors que tu viens d’acheter son plus récent roman. Le soir même, ouvrir la radio et entendre l’animatrice dire : Je vais maintenant vous lire un extrait du tout nouveau roman de Kim Thúy…!

Kim Thuy

Source: Chatelaine

Ce jeu de hasards a connu son apogée à la veille de ton 36e anniversaire de naissance, lors de la représentation de 887. Ce soir-là au théâtre, il était encore là, lui, l’humoriste. Encore une fois, il était assis tout près de toi. Encore une fois, tu aurais pu lui toucher le bras. Mais que pouvait bien signifier cette nouvelle coïncidence? Et que venaient faire tous ces auteurs dans ta vie?

Tu as eu ta réponse peu longtemps après, le lendemain d’une sortie dans un bar où était, par hasard, Louis-Jean Cormier. Ce matin-là, incapable de te concentrer sur la rédaction de ta thèse, tu as décidé de sauter dans la douche et… Bizarrement, une fois sous le jet d’eau, tu t’es mise à brailler à gros sanglots. D’abord gênée par tes larmes, tu as rapidement compris ce qui te bouleversait autant. Tu comprenais pour la première fois de ta vie à quel point tu te torturais sans relâche, convaincue de ne jamais être assez – assez intelligente, talentueuse, productive, riche, belle, mince, douce et gentille –, un sentiment d’incomplétude qui t’emprisonnait dans une course folle de recherche d’approbation extérieure, pour convaincre les autres et toi-même de ta propre valeur. Tu comprenais également le ridicule de ta situation : toi, future psy, tu serais payée à aider les autres à s’aimer inconditionnellement alors que tu t’aimais, toi, sous condition. À condition d’avoir un doctorat avec mille publications, un gros salaire, un corps d’athlète, un chum de rêve, une vie plus grande que nature… Tu réalisais enfin que tout ce cirque était inutile, car tu étais complète depuis toujours, parfaite sans ajouter quoi que ce soit, libre de vivre ta vie telle que tu la désirais. Dans sa plus simple expression. Ici et maintenant.

En sortant de la douche ce jour-là, tu t’es installée devant ton ordinateur et, les yeux fermés, tu as écrit, écrit, écrit. Le lendemain et le surlendemain aussi. Un mois plus tard, tu envoyais deux textes à un concours littéraire et tu quittais ton doctorat. Tes projets? Écrire et voyager. Vivre ta vie d’écrivaine. Vivre ta vie, point.

Certes, tu sais très bien que tes écrits ne révolutionnent rien… Sauf toi-même. Alors tu persistes et signes. Tu oses, tête haute, sourire aux lèvres. Car tu es fière d’être enfin devenue l’auteure et la personne que jadis, tu essayais d’aimer à travers les hommes de ta vie. Aujourd’hui, tu sais que tu n’as plus besoin de passer par autrui. Ni besoin de répondre à des exigences internes et externes apprises, inventées. Encore moins besoin de courir. Car rien ne presse quand on se vit à chaque instant. Et que tout est parfait ici et maintenant.

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