Tu as tes habitudes. Comme marcher. Que ce soit à l’aube, en plein soleil du midi ou au crépuscule du soir, tu aimes marcher. Ton ipod dans une poche, ta clé d’appartement dans l’autre, tu t’aventures dans les rues et les ruelles de ta ville. Comme un nouveau-né, tu ouvres grands les yeux et tu y vois constamment de nouvelles choses. Que ce soit une porte, un lampadaire, une fenêtre, une cour arrière, un jardin, une fleur, un arbre, la lumière dans un feuillage… Tu gobes tout. Curieuse.
Tu marches et parfois, tu t’arrêtes dans un parc pour te balancer. Tu vas super haut, tu te penches la tête en arrière, tu fermes les yeux et tu capotes. Comme une enfant, tu frétilles.
Source : Canal D
Tu aimes particulièrement te balancer en regardant le coucher du soleil. Question de joindre l’agréable à l’agréable. Tu as d’ailleurs réussi à dénicher un parc où l’horizon est large et où l’emplacement des balançoires te permet d’observer le coucher du soleil jusqu’à sa dernière lueur. L’autre soir, en te balançant, ton ipod t’a offert un random de luxe : Tête Première de Louis-Jean Cormier, Turn into noise de Patrick Watson, All the Burning Lovers d’Isaac Gracie et finalement, alors que le soleil n’était presque plus visible et que le ciel était en feu, une toute dernière de Louis-Jean… Deux saisons trois quarts. Un peu plus et tu t’envolais.
Tu adores Louis-Jean Cormier. Tu ne le connais pas personnellement, mais tu aimes ce que tu perçois de lui. Au point où, silencieusement, tu espères que l’homme de ta vie lui ressemble un peu. Le plus fou, c’est que tu connais (de loin) un homme qui répond à ce critère. Avec moins de nez et encore plus de beauté. Un homme que tu as surnommé l’Idéal, car mixte parfait entre LJC et ton écrivain favori, Paul Auster.
Source : Louis-Jean Cormier et Paul Auster
Tu as vu l’Idéal pour la première fois en automne 2014, alors qu’il animait une séance d’information sur les internats en psychologie. Quand tu l’as vu, tu as ressenti l’embryon d’un coup de foudre… Un phénomène météo-biologique que la célibataire que tu n’étais pas a immédiatement avorté. Tu as tout de même dit à ton amie que cet homme était plus que ton genre…
Un an plus tard, à l’automne 2015, tu te présentais de nouveau à la séance d’information pour les internats. Encore une fois, c’est l’Idéal qui l’animait. Encore une fois, en le voyant, tu as ressenti un choc électrique dans ton bas-ventre. Encore une fois, tu as dit à ton amie que cet homme était tout à fait agréable à regarder… et que la célibataire que tu étais désormais aimerait bien le regarder d’un peu plus près. Mais comment l’approcher? Son statut professionnel l’empêchait sûrement d’accepter les avances d’étudiantes! Et de toute façon, il était sûrement marié et père de deux beaux enfants!
Malgré ces hypothèses défaitistes, tu t’es permise de rêver en écrivant des pages entières sur lui. Dans ton cahier, tu as écrit la manière dont tu le percevais ainsi que les détails de votre future vie commune. Tu as laissé libre cours à ton imagination foisonnante et à tes sensations les plus fines. Tu as suivi ton intuition sans appréhension, sans jugement. Et tu as terminé cette séance d’écriture en souhaitant que la vie te permette, un jour, de connaître l’homme réel derrière l’Homme idéalisé. Certes, toute cette rêverie te semblait un peu folle, oui, mais ô combien belle. Car rêver, que ce soit follement ou réalistement, est une belle chose, point.
En janvier 2016, lors d’un repas bien arrosé avec tes amies de l’université, vous exprimiez vos souhaits pour la nouvelle année. Le tien? Avoir la chance de connaître l’Idéal. Tes amies t’ont alors dit :
- Ben va le voir à son bureau!
- Sous quel prétexte?
- Va lui poser des questions sur les internats!
- Quelles questions?
C’est donc un peu « cocktail » que tes amies et toi avez formulé des questions pour l’Idéal. Plusieurs d’entre elles ont dû être éliminées pour cause d’impertinence et d’indécence, mais il y en avait tout de même quelques-unes passant le seuil de la crédibilité. Tu as donc rassemblé ton courage, tes petites questions et tu as écrit un courriel à l’Idéal pour prendre rendez-vous avec lui. Malheureusement, ce dernier t’a répondu qu’il préférait procéder par entrevue téléphonique. Marde. Ton numéro de charme venait de se faire raccrocher la ligne au nez. Déçue, tu aurais pu flusher le « projet Idéal » et passer à un autre appel, mais tu as décidé d’accepter ce que la vie t’offrait en appréciant le moment pour ce qu’il était. Lui et toi vous êtes donc parlé au téléphone une vingtaine de minutes. Tu as aimé sa voix, son attention, son calme. En lui parlant, tu t’es sentie écoutée, intelligente et accueillie. Somme toute, ce fut une expérience agréable qui a laissé en toi un sentiment de fierté. Oui, tu étais fière d’avoir osé faire un pas vers ton Idéal.
Oser fait tellement de bien!
Oser vivifie.
Oser, tu ne l’as pas assez fait dans ta vie.
Après l’appel téléphonique, tu as lâché prise. Car que pouvais-tu faire d’autre? Tu ne pouvais quand même pas forcer la porte de son bureau, mi-nue sous un manteau, munie de talons hauts!
Car il y a oser… et doser.
Sept mois plus tard, un beau soir de juillet, tu allais marcher. Arrivée au coin de ta rue, tu as vu ton ex sur son balcon. Car oui, ton ex habite à deux secondes de chez toi avec sa nouvelle blonde. Oui, c’est un pur hasard. Oui, ça t’avait d’abord jetée par terre (voir Mois de marde). Mais au fil du temps, lui, elle et toi aviez appris à cohabiter. Donc ce soir-là, ton ex était sur son balcon. Dos à toi, il arrosait ses plantes. À portée de voix, tu aurais pu dire son nom et vous auriez pu jouer au « comme si ». Comme si vous ne vous étiez jamais aimés. Comme si vous ne vous étiez jamais entredéchirés. Comme si vous étiez de bons amis. Vous auriez pu jaser de la pluie et du beau temps : comment vas-tu, prends-tu des vacances bientôt, comment vont tes parents… et ta blonde? Mais au moment où tu allais crier son nom, ton cœur s’est crispé et muette tu es restée. Le message de ton corps était clair : à quoi bon lui parler, cette histoire était terminée! Tu as donc décidé de poursuivre ton chemin. Souriante, cœur léger. Consciente que le présent et l’avenir venaient de l’emporter sur le passé.
Une pluie fine s’est alors mise à tomber. Tout prêt de la Plaza Saint-Hubert, tu es allée te réfugier au Renaud Bray. Tu feuilletais les pages de La vie habitable de Véronique Côté quand la pluie devint torrentielle. Certes, tu aurais pu te mettre à chialer que tu n’étais pas chanceuse, que tu n’avais pas ton parapluie, que tu allais être trempée de la tête aux pieds… Mais avec une confiance absolue, tu t’es dit que cette pluie cesserait au moment même où tu sortirais du magasin. Comme de fait, une fois à l’extérieur, l’ondée prenait fin! Wow!
Source : La vie habitable
Sentant que la vie était de ton bord, tu as décidé de marcher vers Saint-Zotique pour arrêter au restaurant de sushis où, la veille, tu n’avais pas reçu une salade d’algues pourtant commandée et payée. Tu as donc réclamé ton dû auprès du propriétaire (sachant fort bien que ce dernier pouvait te dire de t’étouffer avec…) et ô joie! Pour se faire pardonner, il t’a donné une salade d’algues… et douze sushis gratuits! Wow! Tu es sortie du restaurant le sourire aux lèvres. Et l’eau à la bouche. Décidément, la vie t’était douce!
Tu retournais donc chez toi pour manger ce repas tombé du ciel quand, au coin de ta rue, tu es arrivée face à face avec… l’Idéal. Ouiii! L’Idéal était là, sur son vélo, attendant aux feux de circulation. Il était là, beau comme un Dieu, avec sa peau bronzée, ses yeux bleus. Tu es passée devant lui, bouche bée, joues rouges, cœur ouvert. Tu es passée devant lui, mais il ne t’a pas remarquée, car concentré sur la circulation. Tu atteignais le trottoir quand, son feu passant au vert, il repartait sur sa monture. À vive allure. Loin de toi. Bien sûr, tu aurais pu te mettre à râler que tu n’étais pas chanceuse, que tu avais loupé ta seule occasion À VIE de lui parler… Mais tu es plutôt rentrée chez toi, ravie, convaincue d’avoir vécu un moment hautement symbolique. Après tout, n’avais-tu pas commencé ta marche en rencontrant ton passé qui te tournait le dos et en décidant sciemment d’en faire tout autant? N’avais-tu pas eu une marche remplie de cadeaux? Et n’avais-tu pas terminé cette même marche en tombant face à face avec ton futur, du moins, avec sa représentation idéale?
Ce soir-là, sous l’emprise d’une exaltation sans précédent, tu as recherché l’Idéal sur Facebook et tu as osé faire un pas de plus vers lui. Fébrile, tu lui as écrit une invitation complètement folle, belle, audacieuse, spontanée, sincère. Le genre d’invitation que la singulière romantique que tu es souhaiterait ardemment recevoir. Car voilà ce que tu es : une singulière en quête de son singulier. Pour former un pluriel. Certes, si ce n’est pas avec l’Idéal que tu es appelée à vivre ton genre et ton nombre, tu aimes croire que cette invitation n’est pas perdue. Qu’elle flottera quelque part dans l’univers et qu’un jour, le singulier qui t’est destiné finira par l’entendre et y répondre. Évidemment, tu souhaites de tout ton cœur que ce singulier est nul autre que Lui.