Assise à une table avec mes colocs, je commence à me demander ce que je fous ici. Il doit être 20h30. Nous sommes assises dans un bar et nous attendons patiemment une de nos amies. De faux pétales de rose jonchent le sol.  Ils couvrent presque l’entièreté du plancher qui sert habituellement de plancher de danse ou de réceptacle aux éclaboussures de bières lors des mushpit. Une dizaine de tables, sur lesquelles trônent au centre des pétales de rose – oui, encore ! – un numéro et une petite chandelle bon marché du Dollarama, occupent la piste de danse. Les lumières tamisées créent une petite ambiance langoureuse. C’est quétaine. Nous sommes le 14 février. C’est la St-Valentin.

Mais qu’est-ce qui m’a mené ici, dans ce bar? Je me le demande! Je suis dans la vingtaine et je suis célibataire. J’ai toujours pensé que je savais ce qu’était l’amour avec le grand A, mais plus le temps file, plus je me questionne. De nos jours, il existe des millions de façons de se connecter avec d’autres personnes. Mais quand vient le temps de s’engager, la situation se corse. Je parle pour moi, mais la plupart du temps, ça ressemble à : « On va essayer d’avoir du fun, pis après on verra. ». On verra, c’est quand ça demande un peu plus d’investissement. Pis là, c’est moins l’fun et c’est la fin.

Pourquoi suis-je encore ici? La St-Valentin, j’ai toujours trouvé ça quétaine. Au primaire, on s’offre des cœurs en chocolat ou des cœurs à la cannelle – les deux si on est généreux – accompagnés de cartes déjà toutes faites. Au secondaire, si tu as un Valentin ou un admirateur secret, tu peux recevoir une fleur ou un poème. Dans la vingtaine, ça ben d’l’air que tu participes à une soirée de speed dating. Maudit que c’est commercial cette fête-là!

bouquet de roses table vide dateSource image: Unsplash

Ça ne dit pas plus comment j’ai abouti ici. Tout a commencé avec l’événement Facebook de ladite soirée. L’amie – d’ailleurs, que nous attendons toujours – nous a mises au défi en nous identifiant sur la publication. Une de mes colocs, séparée depuis l’été et épousant très bien son célibat, entre autres grâce à Tinder, est toujours partante pour une aventure impliquant la rencontre avec le sexe opposé. Elle accepte le défi. Implicitement, ça veut dire que j’y participe aussi. Pour me motiver davantage, ma coloc élabore des défis à accomplir au courant de la soirée. La personne qui relèvera le plus de défis obtiendra une consommation gratuite. Voici les défis :

  1. Se créer une fausse identité;
  2. Insérer les mots « sapin de Noël » et « sécheuse » dans la même conversation;
  3. Paraître le grincheux de la St-Valentin;
  4. Donner un numéro de téléphone;
  5. Montrer une photo de son animal de compagnie;
  6. Rire bizarrement et fort;
  7. Dire quatre fois le mot « orchidée » dans la même conversation;
  8. Bâiller trois fois en mentionnant qu’on a besoin de sommeil;
  9. Parler de sa passion pour les singes;
  10. Demander au dude quelles sont ses plus grandes qualités.

Certains sont plus simples que d’autres, mais le but, de manière générale, est de créer des malaises, pour soi ou pour l’autre. C’est aussi à cause des billets que je suis ici. L’amie, celle qui est sûrement encore en train de se sécher les cheveux, a fait acheter des billets à sa coloc pour nous. Ainsi, selon elle, il n’y avait plus aucune raison pour se défiler puisque le billet est une forme d’engagement. Je doute… Je songe bientôt à me défiler. En ce moment, il y a très peu d’hommes pour le nombre de femmes présentes.

Mon amie arrive enfin. Elle s’est mise sur son trente-et-un : maquillée, coiffée et décolleté bien en vue. Moi, contrairement à d’autres jours, j’ai pris la peine de choisir mon linge. J’ai aussi essayé de placer mes cheveux. Honnêtement, ça n’y a pas changé grand-chose.

Une personne monte sur la scène, c’est l’animatrice. La soirée commence. Il doit être 21h15. Chacune s’assoit à la place attitrée devant un inconnu. C’est gênant, on veut engager la conversation pour briser le malaise, mais l’animatrice donne des consignes en même temps. C’est parti! Quatre minutes, c’est rapide. Même quand la situation est embarrassante. Déjà six tables de faites et l’animatrice annonce une pause. Excitées comme des gamines, on se précipite à notre table du début pour se partager ce qui vient de se passer. C’est un mélange d’excitation, de malaise, mais surtout de surprise qui alimente nos piaillements. Où en sommes-nous dans les défis? Merde! Je n’en ai aucun d’accompli. Je n’étais pas assez à l’aise pour mentir à des étrangers. Je ne suis pas un imposteur. Et franchement, il y avait des personnes intéressantes. Mes compères, quant à elle, en ont déjà au moins deux ou trois de réalisés.

Deuxième partie du speed dating, mon esprit de compétition dans le tapis, je réalise quatre défis lors des cinq dernières tables. C’est déjà terminé et il faut écrire sur un papier notre top trois pour voir si nous avons un match. Je me suis réellement prise au jeu. J’écris mon top trois pour réaliser plus tard avec mes amies qu’on aura inscrit pratiquement les mêmes personnes à une personne près.

En attendant le verdict, je raconte à mes acolytes ce que l’animatrice m’a fait subir durant la soirée. Un gars a dû me sortir la pire pickup line du monde : « Es-tu religieuse parce qu’avec toi, mes prières sont exaucées? » J’ai aussi dû partager une bière à la paille avec un autre mâle. Je déteste la bière, mais j’ai décidé de me prêter au jeu. On se dit quels défis ont été réalisés et on compile les résultats. Je suis ex aequo avec mon amie. Je lui laisse la consommation puisque je pars tout de suite après les résultats des matchs et que je conduis. Je suis plate de même.

Dans le bar, il y a comme un nuage de malaise : les femmes et les hommes sont divisés. C’est la ségrégation des sexes. Des hommes décident de partir des joutes de beer pong pour dissiper le malaise. Du jamais vu, du beer pong avec de l’eau! Encore plus étonnant dans un bar! Quoique je les comprends un peu, on est quand même juste mercredi soir…

Les matchs sont distribués vers 22h30. J’ai eu un match avec mon top un. Je suis bien trop gênée pour aller lui parler. Je suis venue pour relever des défis, pas pour matcher avec quelqu’un. Il faut comprendre une chose: avec moi, la règle est souvent tout ou rien. Il n’y a pas de continuum. S’il y en a un, il est assez tranché. Cette règle s’applique heureusement ou malheureusement aussi à ma vie amoureuse si on peut la qualifier ainsi. C’est-à-dire que si tu veux juste avoir du fun, ça peut passer pour quelques jours. Mais si les jours deviennent des semaines et des mois et qu’on a encore juste du fun, ça ne passe plus, il faut un minimum de sérieux. Dans l’fond, ce que je veux dire, c’est que j’aime bien quand c’est noir ou blanc. Je tolère le gris, mais sous certaines conditions : il faut qu’il soit bien défini et qu’il ait une date de péremption. Pour être quétaine, j’aurais pu remplacer le noir par du rouge et le gris par du rose, mais je tiens à préciser que je ne l’ai pas fait! Trêve de paroles, ce qu’il faut retenir de ce monologue, c’est que je ne tiens pas du tout à m’engager dans une relation interpersonnelle. En plus, j’ai d’autres projets pour cette année. Pas de temps pour les gars! Ni du noir ni du gris ou ni du blanc!

Finalement, on doit partir. Ma coloc a une entrevue demain et moi, j’ai une grosse journée de cours. J’écris mon numéro sur un papier – un cinquième défi! – et je le donne à mon amie qui reste un peu plus tard pour peut-être avoir une chance avec son match. En même temps, elle pourra subtilement donner mon numéro au gars avec qui j’ai eu un match qui se trouve justement à côté de la personne qu’elle convoite. Je sais que c’est contradictoire avec mon monologue, mais advienne que pourra!

À l’appartement, il doit être 23h30, on se dit que c’était une belle soirée et qu’on était contentes de vivre ça ensemble. Cette soirée était digne d'une chose qu’on raye sur une liste. Je me dis que pour une des rares fois, je ne me suis jamais sentie aussi connectée avec d’autres personnes en tant que célibataire. Je pense que c’est peut-être la première fois que mon réseau d’amies est majoritairement composé de célibataires. Cette soirée aura réveillé en moi ma petite fibre romantique. Pas trop, juste assez pour que ça soit amusant et garder espoir. Étrangement, c’est probablement ma plus belle St-Valentin.

Source image de couverture: Pexels
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