Pauvre toi. Je te déteste tellement, des fois. Je t’épile, je te massacre, je te maudis. Sans parler de ceux qui n’ont pas su prendre soin de toi et t’ont barbouillé la face de caresses aléatoires et agressives.

Je t’en ai voulu, de m’avoir fait vivre autant d’injustices. Ç’aurait été tellement plus simple d’être munie d’un pénis.

J’aurais préféré ne pas avoir à vivre ces nombreuses hontes, ne pas avoir à tacher mon pantalon au milieu de l’école secondaire. Ne pas avoir à endurer ces crampes et ces sautes d’humeur, ces larmes qui me brûlaient les joues sans avertir. Ne pas avoir à dépenser des centaines de dollars pour ton bonheur, pour ma santé sexuelle, pour contrôler ce déluge de sang que tu déclenches sans avertir et n’importe où. Tu te fiches que je sois au restaurant avec des amies ou que je sois en plein marathon dans mes cuissards blancs.

J’aurais préféré ne pas être insécure avant de te présenter aux autres de peur que tu ne sois pas « normal ». J’aurais aimé savoir que vous êtes tous différents et parfaits comme ça.

J’ai dû tester mille et unes techniques avant de pouvoir te rendre heureux. Petit capricieux. J’en ai vécu des inconforts et des soirées décevantes avant de vraiment savoir ce qui te charmait. J’ai dû t’apprivoiser, quelque part entre les nombreuses irritations malencontreuses et les orgasmes ratés, j’ai trouvé notre compromis. Notre façon de faire, à toi et moi.

J’ai compris que tu étais fragile. Comme moi.

Que je devais te traiter avec patience et douceur, parfois. Que je ne devais t’offrir qu’à ceux qui comprenaient bien ça et te protéger, coûte que coûte, des choses qui nous mettaient toutes les deux mal à l’aise.

Et puis tu m’as permis de vivre la maternité, l’accouchement. Tu m’as permis d’être maman, d’être forte, d’être vraie. Tu m’as permis d’avoir cette proximité avec mes enfants, cette expérience qu’aucun homme n’a vécue.

Tu m’as permis d’apprendre et d’être solidaire dans cette lutte au respect, aux côtés d’autres visages qui doivent revendiquer leurs droits. Tu m’as permis d’être combative. De me forger une fierté et de garder la tête haute même dans les moments où le monde entier s’acharne sur nous.

Et aujourd’hui je sais que tu n’es pas un désavantage. Tu fais partie de cette longue lignée de battantes qui n’ont jamais baissé les bras et qui se sont construit une armure, un bonheur bien à elles.

Toi & moi, nous sommes une équipe imbattable. Un duo au diapason. Je t’aime pareil, mon vagin. Je t'aime plus que je t'aimais, maintenant que j'ai compris que tu es ma force. Tu es preuve de persévérance, d'acharnement, de courage. Tu portes les cicatrices de tes ancêtres, de ces femmes, mamans, sœurs, amies, cousines qui se sont levées et ont crié haut et fort que c'était assez. Pour qu'aujourd'hui, nos filles, nos petites-filles, nos nièces puissent être dotées de cet héritage unique. 

Même si tu m'apportes encore bien des inconforts au quotidien, je ne t'en veux plus.
Source de l'image de couverture: Deon Black
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