Tu m’as dit, un jour, que le corps était une machine complexe, une des plus belles que l’être humain pouvait posséder. Un allié incroyable, si tant est que l’on en prend soin, un ami que j’ai ignoré plus souvent qu’à mon tour. Ce corps, je l’abhorre. Ces cicatrices sur mes bras sont détestables, cette tâche sur mon index gauche est difforme, ces boutons incrustés sous la peau de mon visage me semblent être les envoyés des enfers. Ce trou dans mon genou gauche, cette mâchoire émaciée à force de douleurs; je ne peux pas m’empêcher de les voir quand tu me regardes. Tes yeux noisettes n’ont cesse de me faire l’effet d’une vision X, comme si, grâce à eux, tu pouvais distinguer l’irrégularité dans les rouages de mon esprit, la laideur dans mon assemblage. J’ai peur que tu me vois telle que moi, je me conçois; voilà, je l’ai dit.  

Alors, je me cache, j’essaie de faire disparaître mes jambes sous des plaques de sang, je fais pousser mes cheveux pour que le creux de mes joues puisse disparaître, être indiscernable. Cependant, je ne sais pas quoi faire du reste. Je ne sais pas comment respecter mon corps, ne plus lui faire de mal. Je ne sais pas du tout comment l’aimer. J’ai parfois même de la misère à le comprendre, surtout quand il n’est plus capable de tenir la mesure; quand il se transforme en papier mâché et me paralyse. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai fait payer toutes mes émotions à mon corps.

corps femme recroquevilléSource image: Unsplash

Je l’ai lacéré. Je l’ai brûlé, égratigné, ignoré, modifié, caché… Pour, au final, complètement m’en dissocier. Aujourd’hui encore, mes doigts qui tremblent à la moindre occasion ne sont qu’une preuve de plus qui m’accable de m’être si brutalement, si violemment acharnée. Tu m’as dit un jour que lorsqu’on prenait soin de notre corps, il nous le rendait au centuple. Comme une machine bien huilée, pas vrai? Oui, mais si moi, je n’ai pas envie d’être une machine, hein? 

C’est un travail de longue haleine qui m’attend, j’en ai bien conscience. Un travail où, tous les matins, je vais devoir affronter le miroir et renoncer au fond de teint le plus couvrant possible. Un travail où il faudra que je cesse de cacher mes cheveux sous des chignons trop serrés, où mes bras ne pourront plus être sans cesse recouverts de manches longues, où mes poils ne seront plus épilés à tous les jours… Un travail où je vais devoir doser mon souffle, éviter les colères et les renoncements. Dis, pour que je puisse me sentir un peu plus forte, tu voudrais pas me prendre par la main?

main tendue éclairage roseSource image: Unsplash

Dis, est-ce que, toi aussi, tu voudrais bien faire ce chemin avec moi?

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