J’ai trente-cinq ans depuis peu, un baccalauréat en nutrition et quelques autres diplômes en poche, je n’ai pas d’emploi stable et je suis perdue au niveau professionnel. Ça fait loser, je sais. Probablement que tu me juges.

Je pourrais me justifier en disant que je ne l’ai pas eu facile de ce côté, mais tu pourrais me répondre que c’est de ma faute et tu aurais en partie raison. Je sais, par contre, que je ne suis pas la seule dans cette situation, peut-être l’es-tu toi-même? J’ai cru remarquer que c’est un problème assez fréquent de nos jours. Bien que ce soit certainement dû à un ensemble de facteurs, j’ai beaucoup réfléchi dernièrement et je crois avoir trouvé quelques pistes de réflexion qui pourraient expliquer la situation, du moins, en partie.

Les cours de « choix de carrière », tu connais?

Tu es peut-être, comme moi, de la génération qui a eu des cours de choix de carrière au secondaire. Quand j’y repense, je réalise que j’en veux un peu à mes profs de cette époque. Je sais, je cherche peut-être un coupable pour mes choix de vie, mais je pense quand même que la jeune fille que j’étais au secondaire aurait eu besoin de tellement plus de soutien pour mieux se connaître et faire les bons choix. Une ado en pleine phase de changements intenses, c’est perdue et ça n’a aucune idée de qui elle est vraiment.

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En fait, je dis en vouloir un peu à mes enseignants mais, en réalité, c’est au système que j’en veux, de les avoir placés à la tête d’un cours pour lequel ils n’étaient pas formés. Je comprends que, quand on a un baccalauréat en enseignement de l’histoire ou des maths et qu’on nous demande de boucher un trou en attendant d’avoir un contrat ou un poste dans notre domaine, on accepte sans hésiter. J’aurais fait pareil. Le problème, c'est que ce cours n’aurait jamais dû être considéré comme étant de moindre importance et pouvant être donné par n’importe qui.

Quand on a quinze ans, c’est normal de ne pas comprendre à quel point ce genre de cours peut avoir une influence majeure sur notre vie. On est jeune, on ne réalise pas que notre avenir est déjà en train de se dessiner. On ne comprend pas que c’est LÀ que ça se passe puisqu’après, bien qu’il ne soit jamais trop tard pour changer d’idée, le temps et l’argent investis dans nos études ne nous reviendront jamais. On pourrait donc devoir assumer nos choix de jeunesse pendant longtemps.

Par contre, les décideurs qui ont choisi de « boucher des trous », à cette époque, savaient très bien en tant qu’adultes, que ce n’est pas n’importe qui qui est apte à bien orienter des adolescents dans leur choix de carrière. Ce sont les conseillers en orientation qui le peuvent et qui sont formés pour ça. Pourquoi n’ai-je jamais eu accès à ce professionnel pour m’aider? Je n’avais pas besoin d’autant de cours de choix de carrière avec un enseignant qui faisait de son mieux, mais qui n’y connaissait pas grand-chose. J’avais besoin de quelques rencontres par année avec un orienteur, un professionnel du domaine. À quinze ans, on est naïf, on fait souvent confiance aveuglément. On ne connait pas nécessairement la différence entre un vrai professionnel et un adulte qui fait du mieux qu’il peut. Bref, je me suis fier à ce qu’on me disait sans trop regarder plus loin et ça a fini par me coûter cher tant au sens propre qu’au sens figuré. Je suis certaine que je ne suis pas la seule dans cette situation.

Du remplissage de paperasse sans regard critique

Je me souviens d’avoir rempli le même questionnaire à plusieurs reprises au cours de mon secondaire. Selon nos réponses, on nous disait si on était plus du genre investigateur, réaliste, social, entreprenant, artistique ou conventionnel. En connaissant notre type de personnalité professionnelle, l’enseignant nous guidait vers les métiers qui seraient plus appropriés pour nous. Chaque fois que je faisais ce test, j’étais découragée des résultats. Si je répondais que j’aimais quand ma chambre était propre et que j’avais tendance à toujours bien ranger mes affaires, on me suggérait de devenir concierge. Attention, je considère qu’il n’y a pas de sous-métier! Par contre, ce n’est pas parce que j’aime ça quand c’est propre que je serais pour autant bien à nettoyer des planchers tous les jours de ma vie. Si je répondais que j’aimais consoler mes amis, prendre soin d’eux, on me suggérait des métiers du genre travailleuse sociale ou psychologue. Je ne savais pas grand-chose sur moi-même à quinze ans, mais je savais très bien que je n’avais rien d’une travailleuse sociale… J’aurais pleuré ma vie devant la première situation familiale difficile.

En vieillissant et en étant moi-même une professionnelle, j’ai réalisé pourquoi j’avais toujours l’impression que ce test était un peu n’importe quoi. J’ai compris que, de remplir un questionnaire, c’est une chose, mais c’est l’analyse des résultats qui fait toute la différence. Pour être apte à tirer de bonnes conclusions d’un document, il faut être formé et avoir développé les compétences nécessaires. Dans plusieurs domaines, les gens qui prennent les décisions et qui gèrent les budgets ne sont pas sur le terrain, mais dans leurs bureaux, donc ils sous-estiment souvent l’importance du travail qui vient après le remplissage de paperasse. Ce n’est pas parce qu’un document a été conçu par un professionnel qu’il peut être utilisé de façon adéquate par n’importe qui.

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Je vais faire une comparaison avec mon métier de nutritionniste (puisque les mêmes problèmes reviennent partout). Il y a quelques années, beaucoup de temps et d’argent ont été investis dans ce qu’on appelle la « Politique-cadre Pour un virage santé à l’école ». Il existe un beau document d’une cinquantaine de pages rédigé par une panoplie de professionnels dont des nutritionnistes et kinésiologues. C’est un outil qui visait à soutenir les écoles du Québec dans la mise en œuvre de cette politique santé. Pourtant, aujourd’hui, quand je vois certains menus d’écoles secondaires qui sont déséquilibrés (une salade, c’est un excellent accompagnement, mais elle ne peut pas soutenir un ado en pleine croissance tout un après-midi à elle seule) ou que j’entends que des aliments (exemple: le chocolat) sont interdits dans plusieurs écoles primaires, créant ainsi des catégories de bons et de mauvais aliments dans la tête des enfants, je bouille de rage. Les gens qui ont mis en œuvre la politique n’ont absolument rien compris.

Si on avait pris la peine d’engager minimalement une nutritionniste par commission scolaire pour aider à l’application adéquate de la politique, ça aurait évité qu’on fasse n’importe quoi. Mais, selon les dirigeants, « ça coûte cher », des nutritionnistes, donc on a laissé les directions d’écoles et des comités formés de gens qui ne s’y connaissaient pas suffisamment en nutrition prendre les décisions et ça a donné quelque chose de désastreux. Le gouvernement a peut-être sauvé de l’argent sur le moment, mais il a aussi créé toute une génération des gens qui auront des connaissances complètement biaisées en alimentation et qui risquent de coûter cher en services de santé à long terme. Donc, on voit bien qu’un document écrit sans soutien professionnel, ça ne suffit pas. Ça prend quelqu’un qui a les compétences requises pour avoir un œil critique à chaque étape de la démarche.

Pour revenir à mes moutons, de la même façon, j’imagine que « ça coûtait trop cher » d’avoir des professionnels en orientation pour aider les jeunes de mon temps (je me sens soudainement vieille en utilisant cette expression, allo la gang dans la trentaine!) à choisir la bonne voie pour eux. Pourtant, chaque fois que j’ai passé le test des personnalités professionnelles, ça ne m’a servi absolument à rien, car il n’y avait personne de compétent pour m’aider à faire la part des choses avec mes résultats. En fait, ça a servi à me guider vers les mauvais choix, finalement!

La peur de la vérité

Un autre problème qui s’est posé souvent durant mon secondaire et même après, c’est que les gens ont peur de dire les choses telles qu’elles sont. Par exemple, je sais que, d’aussi loin que je me souvienne, je voulais revenir vivre dans ma région natale. C’est une région éloignée, défavorisée et où peu d’emplois de niveau universitaire sont disponibles (mais qui est tellement, tellement belle).

Dans ces circonstances, aller à l’université n’était pas le meilleur choix pour moi, vu l’investissement important, le temps et les efforts que ça demande versus les faibles probabilités de me trouver un emploi. Par contre, de dire à un jeune que l’université n’est pas sa meilleure option, on dirait que ça ne se peut pas. Voyons! Si tu veux réussir dans la vie, tu dois aller à l’université! Combien de fois j’ai entendu ça. J’étais convaincue que c’était ce que je devais faire.

Avec l’expérience et le recul, j’ai compris que ce n’est pas ce que j’aurais dû faire, pas avec le type d’emplois de niveau universitaire qui sont disponibles chez moi. En plus d’être peu nombreux et peu diversifiés, ces emplois sont trop loin de ma personnalité, trop encadrés et étouffants pour moi. Bien sûr, vous me direz qu’à quine ans, on peut penser vouloir vivre à un endroit et changer d’idée en vieillissant, mais ça demeure le travail de l’orienteur et de tous les adultes de l’entourage du jeune de ne pas embellir la réalité et de la présenter telle qu’elle est. Après, c’est à lui de choisir ce qui est le plus important POUR LUI.

Pourquoi avoir peur de suggérer des métiers qui ne sont pas de niveau universitaire, même si la personne a le potentiel de faire des hautes études? Ce n’est pas parce qu’on a le potentiel que c’est nécessairement ce qu’il nous faut. Et si j’avais eu le potentiel pour autre chose qui cadrait plus avec mes objectifs de vie?

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Dans les fameux tests d’orientation que je faisais à l’école, le métier de nutritionniste ressortait souvent. Donc, quand est venu le temps d’aller visiter une personne exerçant un métier qui pouvait nous intéresser, j’ai choisi d’aller voir une nutritionniste qui travaillait en cabinet privé dans ma région. Elle m’a dressé un portrait disons… Très amélioré du métier, tout avait donc l’air fantastique! Aujourd’hui, cette femme a quitté ma région, car la nutrition au privé était beaucoup trop précaire et une meilleure opportunité de carrière s’est offerte à elle ailleurs. Pourquoi avoir embelli les choses? Les gens ont tellement peur de dire la vérité. Elle ne réalisait probablement pas l’impact que cette rencontre aurait sur ma vie.

En vieillissant et en touchant à quelques métiers ici et là, j’ai vu d’autres professionnels parler de leur métier à des étudiants en mettant l’accent sur les beaux côtés et en négligeant les moins beaux. Comme si, en présentant les mauvais côtés, ça risquait d’enlever de la valeur à leur travail. Bien non! Le jeune a besoin de savoir la vérité.

Avec TOUTES les informations, il sera beaucoup plus apte à faire un choix éclairé et ça lui évitera peut-être des années d’études dans le mauvais domaine.

J’aurais bien aimé qu’on fasse ça pour moi à cet âge...

Pour lire la suite, on se retrouve demain!

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