Tu es à bout? « Mais voyons, pourtant tu as un(e) conjoint(e) qui t’aide avec les enfants ! »

Tu te sens seul(e)? « Mais voyons, pourtant tu sors toutes les semaines avec tes ami(e)s ! »

Tu n’aimes plus ton travail? « Mais voyons, pourtant, tu as un bon salaire, un horaire flexible, et de supers avantages sociaux! Ça fait 10 ans que tu es là, tu aimais ça, il me semble! »

Tu ne te sens pas bien? « Mais voyons… Pourtant. Tu as tout pour être heureux(se)! »

Cette phrase, vous l’avez probablement souvent entendue. Peut-être même souvent dite. Mais cette affirmation, moi, je la trouve grandement problématique. Cela sous-entend d’une part que pour atteindre ce fameux bonheur, nous avons besoin de certains éléments, d’une liste à compléter, et d’autre part, que si chaque ligne est cochée, nous n’avons aucune raison valable de ne pas nous sentir heureux(se).

bonheur sourire bonhomme ballon jaune heureuxSource image: Pexels

Les temps évoluent, les besoins et les valeurs sociétales également, mais ce qui ne change pas, c’est cette quête, cette poursuite du bonheur. Or, comment s’engager dans une poursuite, alors que l’on ne sait même pas vraiment ce que l’on cherche? Qu’est-ce que le Bonheur? On écrit des poèmes et des thèses sur le sujet, tout le monde possède sa propre définition, mais au final, son essence me semble aussi vague que l’Amour. Alors, on en déduit ses composantes. On se fait croire que lorsque l’on est bien entouré(e), en santé, avec une source de revenu stable et un bel endroit où vivre, on a tout pour être heureux. On se compare à ceux qui ont moins que nous et on se dit qu’on est chanceux, qu’on vit à la belle époque, qu’on n’a pas à se plaindre, au fond.

Jusqu’au jour où… On finit par se plaindre. Enfin, on s’exprime, tout simplement, mais la société nous reflète que l’on se plaint… Le ventre plein. Alors, on culpabilise. On se remet en question, on relativise, et on se rend bien compte que la société a raison. À force de comparer nos souffrances, on finit par les minimiser. Oui, c’est normal d’être triste du décès de sa grand-mère, mais après tout, elle était vieille, il ne lui en restait pas gros. Je n’ai pas à me plaindre, ma collègue a perdu son fils, ça, c’est grave. Alors plutôt que de me prendre un jour de repos au travail, je vais faire un quart de travail double, afin de lui permettre à elle de se reposer.

On entasse nos émotions dans le fond d’un tiroir de notre esprit, on pousse bien comme il faut, car il ne reste déjà plus grand place dans ce tiroir-là. On se dit qu’il faudra penser à ajouter une commode, plutôt que de penser à vider celle qu’on a déjà. En plus, on dirait que c’est honteux d’aller mal, ça met les gens mal à l’aise. Dans notre société, on se demande toujours «comment ça va ?» par politesse, mais on ne sait jamais où se mettre quand l’autre répond par la négative. Des fois, on leur en veut quasiment de ne pas avoir menti, juste histoire de ne pas nous mettre dans l’embarras. On ne veut pas inquiéter les autres, ni les rendre mal à l’aise, mais surtout, on a peur du rejet. Après tout, qui voudrait rester en contact avec quelqu’un qui ne se sent pas bien? Ça brise l’ambiance, c’est lourd! Alors, on entasse.

femme seule sur un quaiSource image: Pexels

Jusqu’au jour où… Il explose, ton petit tiroir. Tu n’as pas le moral, tu en parles à tes proches, tu finis par consulter ton médecin. Il te demande si tu fais de l’exercice. Non? Ah bon… Et ton alimentation? Pas suffisamment d’aliments santé… Ah bon… Et ton sommeil? Tu fumes? Est-ce que tu prends de la médication? Qu’est-ce que tu as bien pu faire, ou ne pas faire, afin de te sentir de la sorte? Quelle case de ta liste du Bonheur n’est pas cochée? Si tu sens stressé au boulot, as-tu pris les moyens pour mieux organiser ton temps? Si tu ne te sens pas énergique, as-tu essayé de changer ta diète et de t’inscrire au gym? En sortant de là, on ne se le cachera pas, ça se peut fort bien que tu te sentes plus mal qu’avant d’entrer.

Le problème, c’est qu’on individualise les problèmes et les solutions, mais au final on ne fait que collectiviser les répercussions. Le problème, c’est qu’on responsabilise l’individu à profusion, sans réaliser qu’il faudrait peut-être prendre le contenant en considération. En même temps, on apprend aux filles à se cacher les épaules, plutôt que d’apprendre aux garçons le sens du mot «non». Puis, quand les victimes dénoncent, on leur dit que, non, ce n’est pas «de la bonne façon».

Avec une telle logique sociétale, peut-on vraiment s’étonner lorsque nous nous pointons nous-même du doigt peu importe l’enjeu ou la situation? Le problème, c’est qu’à force de sur-responsabilisation, on finit par se dire, que ben coudonc, le bonheur, ça doit juste être une illusion. Pis attention, tout dépendant de ton âge, de ton genre ou même de ta profession, tu as pas le droit de te traîner un bagage émotionnel, même pas un petit baluchon! Après tout, qui voudrait d’un enseignant anxieux ou d’une psychologue en dépression?

Dans cette glorification du Bonheur et de ses critères, on a fini par se perdre, comme individus, comme société. On a transformé le Bonheur en cette ligne à franchir, plutôt qu’un état d’esprit pouvant t’accompagner durant l’intégralité de ta course. On a mis l’accent sur une fausse destination, en oubliant que le voyage faisait partie de l’équation.

Eh bien moi j’ai envie de te dire que tu t’en sors bien. Tu fais ton possible. Peut-être que tu suis pas le Guide Alimentaire Canadien à la lettre, pis tu t’es peut-être servi plus souvent de ta carte de membre du Tim Hortons que de celle du gym, mais ce n’est pas grave. Ça ne veut pas dire pour autant que c’est de ta faute si tu trouves ça plus difficile depuis quelques temps. C’est correct de prendre le temps de s’arrêter et de se questionner sur les raisons de notre humeur, c’est même nécessaire.

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Mais au lieu de t’attarder sur ce que toi tu as fait ou pas fait, prend donc trente secondes pour réfléchir aux facteurs extérieurs à toi. La prochaine fois où tu te sens sur le bord de manger l’intégralité de ton contenant de Coaticook, dans ton bain, en écoutant Netflix, au lieu de te culpabiliser pis responsabiliser, remets donc les choses en perspective. Si tes enfants t’ont crié après toute la semaine, que tes collègues ont l’air bête depuis trois semaines, que tu as pogné ta blonde en train de «jouer au Scrabble» avec ton frère, ou qu’on est en contexte pandémique, ça se peut que ton patience-O-meter soit un petit peu défectueux. Puis c’est correct.

Sois doux(ce) avec toi.

Apprend à être fier(e) de chaque pièce de casse-tête que tu réussis à placer, plutôt que d’être en maudit après toi de pas avoir réussi à le terminer.

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