Le besoin d’écrire ce texte s’est imposé à moi comme la soif frappant l’homme solitaire perdu en plein désert sous un soleil plombant du midi. Tentant de faire une sieste en attendant mon départ pour l’aéroport direction la maison, après trois semaines au Cambodge, je n’arrivais pas à m’assoupir tellement j’avais la tête qui tourbillonnait. L’esprit plein d’images et de souvenirs, repassant les moments forts de ce périple incroyable que j’ai fait avec deux de mes meilleurs amis pour nos 30 ans, j’étais incapable de calmer ma pensée. Au-delà des paysages magnifiques, de notre incursion dans la jungle, des nos aventures en kayak dans les mangroves, des plages incroyables et de plongées sous-marines inoubliables, mon attention était complètement absorbée par la tragédie qui a frappé ce peuple il y a 40 ans de cela.

Le cœur gros et l’âme en mal, je repensais aux milliers de visages d’innocents torturés à mort que j’avais vu la journée même lors de ma visite d’une ancienne école qui a jadis servi de lieu d’emprisonnement et de châtiment pour les opposants de la révolution communiste des Khmers Rouge sous le règne de Pol Pot. Au début du voyage, nous avions visité les « Killing Fields » et avions vu des ossements, mais en ce dernier jour, de voir le visage de chacune des victimes qui avait été photographié à des fins de documentation pour ce régime dictatorial brutal et barbare, j’étais intérieurement complètement bouleversé. C’est pourquoi j’ai écrit ce texte, afin de me décharger émotionnellement de cette boule qui m’habitait, mais aussi pour partager ma compréhension de ce phénomène qui a fait de simples hommes des bourreaux sans merci qui ont décimé à coups de bâton et d’armes blanches plus du tiers de leurs compatriotes.

Nous vivons dans un monde tellement libre, sécuritaire, permissif et incroyablement confortable que nous en oublions parfois, même souvent je ne le crains, la chance exceptionnelle que nous avons. Courant après la prochaine bébelle à acheter, comptant nos malheurs ou bien voguant tout sourire dehors au gré du train train quotidien, nous avons oublié le long et sinueux chemin ayant mené à ce mode de vie où l’abondance et les plaisirs sont au rendez-vous. Cette liberté, ce luxe de choisir, ce droit de s’exprimer ouvertement sur tout et rien, c’est la somme de décennies de luttes acharnées pour les droits de l’homme, pour vivre dans la dignité et dans la paix.

Ne prenons pas de cadeau, ce legs de nos ancêtres ne doit pas être utilisé à tort et à travers. Liberté de parole et d’action ne veulent pas dire intolérance à l’autre et individualisme à l’excès sans souci des répercussions envers les autres. L’égocentrisme exacerbé, la recherche de pouvoir, la course à la richesse, le besoin excessif de reconnaissance et d’appartenance, la place prépondérante de l’image et toutes autres motivations intrinsèques apportent leur lot de débordements verbaux et physiques. Les médias sociaux, autant qu’ils peuvent unir, connecter et solidifier l’humanité sont malheureusement trop souvent utilisés comme plateforme pour dénigrer, attaquer et rabaisser l’autre en voulant absolument avoir le dessus et faire valoir son opinion.

Autant dans les dernières années, on parle d’ouverture sur le monde, de partage de cultures et d’expériences de voyage enrichissantes, autant il semble y avoir une intolérance grimpante envers la différence. Que cela soit contre notre voisin, contre la communauté LGBTQ, contre nos dirigeants, ou bien contre nos bougons et nos immigrants, l’intolérance s’exprime sans limites et est exposée au grand public sans retenue ni gêne. Pour l’instant, ce ne sont que des mots, des manifestations anti-ci ou anti-cela, des groupes en ligne, des petits mouvements semi-organisés, mais j’ai vu au Cambodge combien la ligne était mince entre l’homme et la brute. Combien la jalousie, l’envie, les manques et surtout l’intolérance envers autrui peuvent vite dégénérer en quelque chose d’effroyable.

Nous sommes nés dans un des meilleurs pays au monde où il fait bon de vivre, alors que plusieurs parties du monde implosent actuellement de grogne populaire. Plusieurs revendications sont justifiées, mais des escalades de violences éclatent tout de même et ce sont des drames humains qui se déroulent. Dans bien des cas historiques ou actuels, cette montée en nombre d’altercations sanglantes a débuté par des mots. De simples mots qui semblaient probablement inoffensifs au départ, mais qui sont devenus des récriminations partagées envers les « autres », qui se sont transformées en idéologies politiques et mouvements organisés pour culminer en des balles réelles transperçant chair et os.

mains support tolérance noir et blancSource image: Pexels

Nous oublions combien l’équilibre de notre société est toute aussi fragile qu’ailleurs dans le monde, malgré les apparences, et que d’autres endroits paisibles ont éclaté suite à des accumulations d’intolérance. Portons attention à nos critiques, à nos idées préconçues, à notre racisme intégré et à nos propos qui peuvent tendre vers un soupçon de haine.

Pratiquons la tolérance et la réelle ouverture à l’autre dans le but de mieux se comprendre, car des atrocités peuvent survenir plus rapidement qu’on ne peut l’imaginer et les conséquences peuvent être catastrophiques. Une certaine montée de la droite plus intransigeante est visible en Europe, aux États-Unis avec Trump et dans bien d’autres pays, mais rappelons-nous la 2e Guerre Mondiale et les millions de morts découlant d’une telle prise de pouvoir de partis d’extrême-droite suite à la grogne populaire s’intensifiant. C’est lorsque cela va mal et que certains crient plus haut et fort que les autres, semblant détenir la vérité et le chemin à emprunter, qu’il faut se méfier. Ces dictateurs ont débuté dans des ruelles en propageant la haine de l’autre et en trouvant des coupables. Faisons attention à ce que nous lisons, pensons et exprimons pour le bien-être de notre collectivité.

Lorsque l’économie ralentira, que notre confort en sera affecté et que la tentation de rejeter la faute sur « l’autre » surviendra, car nous savons tous au plus profond de nous-mêmes que le rythme actuel des choses (surconsommation, inégalités grandissantes, etc.) ne peut pas continuer ainsi avec la population mondiale qui s’accroit de manière fulgurante et la planète qui se meurt à petit feu, tentons de nous rappeler l’histoire, de se rassembler pour trouver des solutions ensemble, dans l’entraide et l’empathie pour ne pas reproduire de telles catastrophes.

Je m’excuse si ces lignes vous ont semblé difficiles à lire, mais je crois qu’elles étaient nécessaires, en tout cas elles l’étaient pour moi. Pour comprendre comment plus de trois millions de personnes avaient été massacrées par leurs voisins et pour en tirer une compréhension plus large des ampleurs qu’engendre la haine. Pour décrier la tristesse infinie que j’ai ressentie en cette journée et le plus important, l’importance de prendre conscience que l’intolérance est intolérable, que des drames humains débutent justement ainsi, avec de simples humains et de simples mots. J’espère que nous ferons des concessions lorsque le temps viendra, que nos seront prêts à changer nos modes de vie et nos habitudes, pour le plus grand bien du plus grand nombre au-delà de notre simple personne. L’homme est un animal pour l’homme, mais il peut se révéler merveilleux envers son prochain et focalisons sur tout le bon qui nous habite, car c’est cela qui fera la différence en temps venu.

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