Ma jolie maman, il y a tellement à écrire, à sourire, à pleurer ou même à te crier dessus à l’intérieur de moi. Mais ce matin, je t’écris et des larmes coulent sur mes joues. Parce que, pour la première fois, je réalise que tu es fragile et que, peut-être bientôt, tu partiras. Les méchants soldats sont-ils en train de gagner leur bataille en ton corps?  J’ai la gorge nouée et je ne trouve aucun moyen de faire passer cette angoisse. Peut-être les mots, ces mots que j’affectionne tant, mettront un baume sur ma tristesse.

Je t’en ai beaucoup voulu. Encore aujourd’hui, si j’ai besoin de cracher mon venin, c’est vers toi que je me tourne. Je me suis toujours dit que c’était comme ça, puisque tu avais été une mère de marde et que tu le méritais.  Je vais essayer ce matin de nous dépoussiérer un peu… Peut-être ce ménage printanier attisera la valve de mon cœur qui s’épanche sur ma pupille.

Du plus loin que je me souvienne, tu ne m’as jamais submergée d’amour. Les seuls souvenirs d’affection ou d’amour que j’ai de mes jeunes années sont une odeur et une voix pâteuse. Je me souviens de ton odeur: un mélange de cigarette, d’alcool et d’Anaïs (ton parfum) quand tu rentrais d’une soirée festive. Et, ces soirs-là, j’avais droit à mon moment juste à moi avec toi. Tu venais me réveiller, t’asseyais sur le bord de mon lit, caressais mes cheveux et tu terminais cet instant de confesse en me disant que tu m’aimais. En français… En français, puisque tu m’auras dit des centaines de « Love you » du bout des lèvres. 

maman enfant pied bébéSource image: Unsplash

Je réalise aujourd’hui qu’aucun de tes « Je t’aime » dans la langue de Shakespeare ne se sera rendu à mon cœur. J’ai toujours été tatouée français, et tu auras si peu fait l’effort de me le dire dans ma langue. Notre vie étant assez difficile, ce n’était pas dans tes actions que je sentais ton amour. Mais, ce matin, je réalise que peut-être j’aurais dû t’en parler, malgré que l’amour, ça ne se quémande pas. Nous aurions pu trouver un compromis ; « Love toi » ou « Aime You », plutôt drôles à l’écrit, auraient peut-être comblé mon besoin de toi. Encore aujourd’hui, tu ne réponds jamais à mes « je t’aime » lorsque nous finissons un appel.

J’ai donc grandi en ayant en moi cette déchirure du cœur. Cette déchirure se sera prolongée si loin qu’elle aura atteint ma confiance. J’ai longtemps eu l’impression de devoir acheter les gens autour de moi pour qu’ils m’aiment. N’étant assez bien pour personne, je les couvrais de cadeaux… J’ai acheté tout le monde, sauf toi. Inconsciemment, et consciemment maintenant, j’aurai été capable de vivre sans ton amour.

 J’ai tant voulu faire ma vie à l’opposé de la tienne : avoir une kyrielle d’enfants que je ferais toujours passer en premier et à qui je dirais des milliers de « je t’aime » par jour. Des enfants que je collerais, câlinerais, embrasserais, toucherais…  S’il arrivait quelque chose à l’un de nous un jour, les dernières paroles que nous nous serons dit seraient assurément « je t’aime ». Le matin, à chaque départ, avant le dodo, plusieurs fois par jour. J’ai le « je t’aime » facile quand j’aime. 

J’aurai donc gardé avec toi, toute ma vie, cette distance. Parce que je t’en ai voulu de me pas m’aimer à ma façon, de toujours avoir fait passer ton amoureux avant moi, d’être si peu présente dans ma vie. Ça fera bientôt 35 ans vous deux, et j’aurai toujours passé derrière lui…  Mais avant ou après m’importe peu ce matin…  Pourvu que tu sois là…

Parallèlement à cette lacune d’amour, tu es celle qui m’aura le plus souvent dit que j’étais tellement intelligente, que, quand je voulais, rien ne pouvait m’arrêter. Que j’avais le monde à mes pieds, que je devais croire en moi et que j’étais capable de déplacer des montagnes tant ma volonté pouvait être puissante.

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Ce matin, douce maman, j’ai tant de peine… J’ai de la peine de ne pas avoir accepté l’amour que tu m’offrais, à ta façon (tu as perdu ta mère à 10 ans, alors tu as dû improviser un peu ce rôle). C'est un boulot magistral que celui d’être une mère ; tu l’auras appris sans modèle.

À l’aube, dans mon chagrin, je prends conscience qu’aussi bizarre que ça puisse paraitre, je t’aurai appelée ma vie durant ma « petite maman ». Mais, dorénavant, je t’appellerai ma jolie maman ou ma douce maman. Parce que l’attribut « petite » minimise notre relation chaque fois…  Minimise la femme que tu es et qui n’aura pas eu de mère pour lui apprendre comment aimer ses enfants.

Alors là, tout de suite, je redeviendrais bien un moment cette petite fille, qui, sous la chaleur de ses draps, attend impatiemment que tu rentres et viennes la voir. Je savourerais ta main dans mes cheveux, ton odeur, mais, surtout, je te dirais combien je t’aime et combien j’ai besoin de toi… Parce qu’aujourd’hui, je me dois de l’avouer, je suis morte de peur à l’idée de te perdre. Que vais-je devenir sans toi maman?

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