Rose,

Il y a encore eu un féminicide. Le onzième en 2021.

Tu sais, Maman est avocate de la défense. La violence en matière conjugale fait partie de mon quotidien professionnel. Je n'ai pas la prétention de tout connaître ni de tout comprendre. Mais j'ai quand même envie de t'enseigner ce que je sais. Parce que tu grandiras dans ce monde en tant que femme. Et parce que ça ne peut que m'inquiéter.

Y'a ceux qui sont « poqués » et ceux qui sont saouls. Y'a ceux qui sont gelés et ceux qui sont jaloux.

On ne naît pas tous avec des chances équivalentes. C'est même un euphémisme de le dire ainsi. Le rejet, la négligence ou la pauvreté, ça arrive que ça fait du monde « poqué ». C'est ça, la triste vérité.

Il y a aussi toute la question des problèmes d'assuétude dont personne n'est à l'abri. Il y a tellement de substances, légales ou non, auxquelles être dépendants. Tellement d'essais d'un soir qui se sont répétés, soir après soir. Tant d'influençables, influencés.

Certains hommes développent simplement des problèmes de comportement, aussi. L'impulsivité, la jalousie, l'agressivité et la dépendance affective. Tant de beaux grands mots pour décrire tant de laideur.

Tous les consommateurs, les brisés et les possessifs ne sont pas violents. Mais le contraire n'est pas aussi vrai. Aussi, je t'en prie, sois vigilante. Questionne-toi. Protège-toi.

Y'a ceux qui sont violents avec leurs mots et ceux qui frappent. Y'a ceux qui surveillent les textos et ceux qui abattent.

Il y a, souvent, une gradation dans la criminalité des gens, Rose. Celui qui est dénigrant et qui brise ton cellulaire est possiblement le même qui te mettra les mains à la gorge.

Contrôler, insulter, intimider, pousser, gifler, frapper, violer, étrangler, tuer. Ce n'est pas une équation infaillible. N'empêche, promets-moi de partir dès qu'un homme te demandera de mettre fin à une amitié, te traitera de « folle » ou te serrera le bras. Même s'il s'excuse. Même s'il t'achète des fleurs le lendemain. Même si tu l'as trompé et que tu penses l'avoir mérité.

T'as le droit, aussi, de vérifier les antécédents criminels de ta nouvelle flamme. Ce n'est pas malhonnête de vouloir savoir avant. En connais-tu beaucoup, toi, des gens qui achètent un livre sans avoir lu la quatrième de couverture ?

Tu m'as souvent entendu dire que tout le monde a droit à une deuxième chance. Oui, je crois férocement en la réhabilitation. Ceci dit, t'as le droit de t'éloigner le temps qu'il entreprenne des démarches d'aide. C'est peut être même ce que ça prend pour qu'il le fasse au lieu de le promettre. S'il te plaît, Rosie, n'y retourne pas sans preuve de résultats.

Y'a ceux que tu croiras réhabilités et ceux que t'auras envie de pardonner. Y'a ceux que tu aideras et ceux que tu aimeras.

C'est facile d'écrire tout ça, à froid, quand on n'est pas impliqué. Le propre de la violence conjugale, c'est le contexte : la relation de confiance, de dépendance et, surtout, d'amour.

Je te souhaite de tout mon coeur, ma belle fille, d'être en amour un jour.

Mais Maman espère que l'amour ne te rendra jamais aveugle. Faut avoir les yeux bien ouverts pour voir les différents signaux dont je viens de te parler.

Tu sais, vaut mieux éviter de « tomber » en amour, aussi. L'amour, c'est sensé nous élever, nous faire grandir, nous transporter. Si ce n'est pas le cas pour toi, fuis.

En fait, n'en déplaise à Francis Cabrel, moi, je t'en supplie, ma princesse, n'aime jamais à mourir.

Affectueusement,

Maman

Source de l'image de couverture : Unsplash
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