Depuis le début de la pandémie, les Québécois et Québécoises n'ont jamais consommé autant d'antidépresseurs, et ce constat est encore plus marquant chez les jeunes. Dans un article du journal La Presse, publié en février 2021, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) relevait une hausse de l'utilisation d'antidépresseurs de 9,5% chez les 18 à 34 ans depuis un an, soit de 2019 à 2020. En raison de l'accès difficile à un psychologue dans le système public ou du coût élevé des thérapies cognitivo-comportementales dans le secteur privé, les médecins n'ont malheureusement d'autre choix que de prescrire des pilules comme solution rapide et facile pour venir en aide à leurs patients. Toutefois, ces médicaments n'ont rien de magique et peuvent souvent engendrer des effets secondaires graves. Sans parler du sevrage difficile lorsqu'on souhaite s'en passer.

Au cours d'une période sombre de ma vie, j'ai eu recours aux antidépresseurs. Je ne prenais pas ces médicaments de gaieté de cœur en pensant que ça règlerait tous mes problèmes, mais j'en avais besoin pour éviter de basculer dans un point de non-retour. Je me rappelle une fois lorsque je m'étais confiée sur ma consommation d'antidépresseurs à une amie. En guise de réaction, elle m'avait répondu « Moi aussi j'aimerais ça en prendre, pour voir ce que ça fait »... Après m'être calmée et avoir déposé mon bâton de baseball, j'ai réalisé que cette amie, qui n'avait jamais souffert de troubles de santé mentale, entretenait une vision romantique et caricaturale de la consommation d'antidépresseurs. Comme beaucoup trop de gens ignorants par rapport aux réalités et la complexité de ces troubles, elle s'imaginait que ces médicaments, à l'image des drogues récréatives, font voir la vie en rose, que soudainement on devient heureux, qu'on a envie de sauter partout et de rire à gorge déployée.

En fait, les antidépresseurs ne donnent pas de high. Ils aident, entre autres, les personnes dépressives à garder la tête en dehors de l'eau. Dans le jargon pharmaceutique, les antidépresseurs les plus couramment prescrits s'appellent les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Pour résumer, les molécules contenues dans ces médicaments viennent synthétiser à la place du cerveau de la sérotonine ou d'autres hormones pour changer la chimie du cerveau et tenter de garder un certain équilibre mental. Ils sont efficaces chez certaines personnes,  alors que d'autres ressentent plus ou moins de bienfaits et certaines ne verront aucun effet. Il faut parfois plusieurs essais-erreurs avec son médecin pour espérer trouver la molécule qui va nous faire sentir mieux. C'est comme jouer à la roulette russe.

fille avec plateau de pilules

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Un autre aspect frustrant des antidépresseurs est quand ils nous font plus de tort que de bien. Tous les médicaments peuvent donner des effets secondaires, mais en avoir lorsqu'on est fragile mentalement peut non seulement être décourageant, mais aussi empirer la détresse psychologique. La liste d'effets secondaires par classe d'antidépresseurs est longue et peut affecter différemment chaque individu. Durant les premiers mois de ma prise d'antidépresseurs, je n'avais aucune énergie, je me sentais léthargique et apathique, mon appétit s'est aiguisé et a entraîné une prise de poids importante et je n'avais plus aucune libido ni la capacité d'avoir d'orgasmes. Aussi, les médicaments ont atténué mon mal-être, mais aussi le peu de joie de vivre qu'il me restait. J'avais l'impression de vivre dans un univers parallèle où les couleurs sont moins vives, les saveurs moins prononcées, les odeurs moins odorantes et le toucher moins perceptible. Pour survivre à la dépression, j'étais devenue un robot sur le pilote automatique.

Après plusieurs mois, j'en avais marre de ces effets secondaires et j'ai décidé d'arrêter les médocs. Je n'en avais pas parlé à mon médecin et j'ai cessé drastiquement la médication sans diminution graduelle de la dose ni supervision médicale, ce qui était une énorme erreur (sérieusement, ne faites JAMAIS ça). Vous savez quand on est assis depuis longtemps dans un fauteuil et qu'on se lève soudainement puis qu'on a un genre de chute de pression qui donne le tournis et nous fait nous effondrer rapidement dans le fauteuil? Je vivais cette situation constamment. Assise, couchée, en train de marcher ou de vaquer à mes occupations, j'avais toujours le tournis. C'était comme si je passais mes journées entières dans un manège dont je ne pouvais pas débarquer. Petit à petit, les effets de ce sevrage se sont amoindris au fil du temps, jusqu'à ce que je fasse une rechute et doive prendre des antidépresseurs à nouveau. J'ai donc commencé à prendre de nouvelles molécules pendant plusieurs mois. Pendant un certain temps, cela avait plutôt bien fonctionné pour contenir la dépression.

Puis, j'ai développé des effets secondaires très sérieux. Il m'arrivait fréquemment de ne pas pouvoir me réveiller après une nuit de sommeil. C'est-à-dire que je voulais me réveiller, mon cerveau était conscient et éveillé, mais mon corps refusait de suivre ma tête. Je sentais comme une lourdeur qui me gardait clouée au lit et qui empêchait mes yeux de s'ouvrir. Il fallait que je canalise le peu de force que j'avais pour obliger mon corps à coopérer afin d'arriver à me lever. Belle façon de commencer la journée… Mais ce n'est pas le pire. J'avais aussi commencé à avoir des hallucinations sonores et visuelles. Par exemple, un soir quand je lisais dans mon lit, il y eut un tremblement de terre. La terre et les murs de la maison tremblaient fort et je sentais les puissantes vibrations sismiques sur mes meubles. En tout cas, c'est ce que je croyais. Le lendemain, j'avais demandé à ma mère si elle avait ressenti le tremblement de terre, puis elle m'a répondu « De quoi tu parles? Quel tremblement de terre? Il n'y a pas eu de tremblement de terre hier soir ». J'avais même vérifié sur les sites Internet des géologues du Québec et de MétéoMédia pour voir s'ils avaient répertorié un tremblement de terre, mais il n'y en avait pas eu. J'avais halluciné. J'ai alors su qu'il fallait sans équivoque que je stoppe la médication.

ballons souriants

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Aujourd'hui, je vais mieux et je peux me passer d'antidépresseurs. Je ne sais pas si j'en aurai encore besoin dans l'avenir, mais je veux éviter de me tourner automatiquement vers les médicaments puis recommencer le cycle « essais-erreurs-effets secondaires-sevrage-recommence ». Je me tourne vers d'autres méthodes pour gérer mon stress et mon anxiété comme le sport, une bonne alimentation, la méditation, etc. J'espère que cela sera suffisant. Toutefois je suis consciente d'être encore fragile et peut-être qu'un jour cela ne suffira plus et que je devrai reprendre une médication. Les antidépresseurs ne sont pas des bonbons miraculeux qui rendent heureux du jour au lendemain. Ils soulagent les symptômes, mais ne s'attaquent pas à la source du problème. Prendre ces médicaments peut nous sauver la vie et ils peuvent aussi la rendre difficile.

Le système de santé tel qu'il est actuellement pousse notre société à (sur)prescrire ces médicaments alors que les séances de psychothérapie peuvent donner de bons résultats, sans qu'il y ait d'effets secondaires. L'accès à des professionnels de la santé mentale devrait être universel et gratuit, au même titre que les médicaments couverts par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Prendre des antidépresseurs n'est pas un acte anodin à prendre à la légère. La santé mentale doit devenir une priorité de santé publique et nous nous devons de briser les tabous et les stéréotypes concernant les maladies mentales. Il y a une autre pandémie sous-jacente à la COVID-19. Et cette fois, la pilule sera plus dure à avaler, car cette pandémie-là ne se règle pas à coups de vaccins.

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