Pendant longtemps, j’ai voulu te trouver beau. J’ai voulu t’aimer, vouloir t’épouser, comme toutes mes amies du secondaire qui passaient les soirées pyjama à s’imaginer que tu les demandais en mariage d’une manière tellement extravagante que c’en était malaisant - l’une après l’autre, en outre, histoire de ne pas faire de jalouse. Mes amies du secondaire avaient le sens de la communauté.

Mais moi, je ne voulais rien savoir de tout ça. Celui que j’admirais en secret, ce n’était pas toi, Héros.

C’était ton meilleur ennemi : le Méchant.

Ne me juge pas trop rapidement. Je ne troquais pas le syndrome de la princesse contrainte à s’amouracher du héros désigné pour sa version jumelle, bien que non identique, celui de la princesse inexorablement attirée vers les bad boys. Non, non. C’était autre chose.

Si j’admirais le Méchant, c’était pour des raisons beaucoup plus nobles. Je l’aimais parce que - en dépit de ce qu’un scénariste hollywoodien probablement barbu essayait de me faire croire - je ne pouvais m’empêcher de voir que dans cette histoire…

… le Méchant avait raison.

Évidemment, tous les méchants de mon adolescence n’avaient pas raison. La plupart d’entre eux étaient tout simplement des monstres-sortis-droit-des-entrailles-les-plus-abjectes-de-la-terre et ne laissaient aucune place à l’ambiguïté morale. Dans ces cas, le scénariste barbu avait fait un bon travail, et je réprouvais le méchant autant que le scénario me le commandait.

Le méchant dont je parle était d’une espèce plus rare : c’était un Méchant martyr. Un Méchant incompris. Celui qui, à la fin d’un film, me faisait serrer les poings alors que mes amies te louangeaient, toi, le Héros sans mérite qui avait eu l’affront de blesser un innocent. Toi qui poussais l’insolence jusqu’à te faire applaudir pour ton geste.

***

- « Noah me manipule et me crie après. Tout le temps. Sauf quand ma langue est dans sa bouche.

- Et Lon?

- Notre relation est basée sur un respect et une admiration mutuelle.

- Alors, épouse Lon.

- Mais Lon est riche.

- Oh! Dans ce cas, épouse Noah. »

Méchant incompris, tu es disparu de l’écran sans que personne ne verse même une larme. Mais sache que tes instants à l’écran n’ont pas été stériles. Tu m’as appris. Tu m’as appris que le point de vue qu’on adopte pour raconter une histoire est aussi important que les événements qui la composent.

Quand j’ai grandi, j’ai compris que, dans une autre histoire, tu aurais pu être le héros. J’ai compris que la morale n’est pas relative, mais qu’on peut tordre notre vision des choses jusqu’à se faire croire qu’elle l’est. Un héros peut justifier l’injustifiable. Un héros peut utiliser ses privilèges de héros pour manipuler les émotions d’un auditoire de façon à lui faire sentir qu’il a raison - même quand il a tort.

Aujourd’hui, ta voix se joint à celle de ma conscience pour me rappeler que, bien que je sois la héroïne désignée de mon histoire, je suis aussi la scénariste de ma propre vie : je dois utiliser mes privilèges pour faire les meilleures décisions possibles, non pour justifier mes actions stupides.

Merci pour tout, Méchant.

Tu es mon héros.

Source image de couverture: Unsplash
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