Parfois, on rencontre des personnes et on n’est pas vraiment sûre si c’est quelqu’un qu’on pourrait aimer, ou si c’est juste pour le thrill d’avoir quelqu’un dans notre vie à qui on pense quand on se sent toute seule le vendredi soir. J’avais connu un gars comme ça, moi. Le genre de gars avec qui tu dors collé même les jours de semaines, mais celui que tu sais pas trop comment décrire quand tu en parles à grand-mère; ami, copain, fuckfriend…de toute façon, ta grand-mère ne sait pas ce que ça veut dire. En gros, même toi, t’es confuse par rapport à votre situation et t’ignores si ça va aboutir à quelque chose un jour.  Finalement, j’avais décidé de ramasser tout le linge que j’avais eu le temps d’éparpiller un peu partout chez lui et je suis partie travailler sans jamais revenir. C’est comme ça que je me suis sauvée de sa vie, en prétextant, pour ma défense, des conneries sans profondeur. Sauf que la semaine passée, j’ai croisé sa face dans les «vous connaissez peut-être» sur Facebook, et spontanément, j’ai cliqué sur «ajouter» en me faisant croire que c’était seulement pour voir s’il se souviendrait un peu de moi, tandis qu’au fond, il y avait plus que ça. Je ne sais pas, je voulais savoir si j’avais eu raison de partir. J’ai mis mon cellulaire sur mute pour ne plus y penser, parce que je m’attendais à un éventuel rejet social par l’entremise d’un intermédiaire robot administrateur qui expulserait ma demande d’amitié jusqu’au fond d’une poubelle puante de coulis jaune visqueux d’un restaurant douteux sur le bord de la Décarie et je suis partie me promener en vélo en oubliant mon passé de crétine.  Ça m’arrive souvent de faire ça. Je suis loin de vivre étouffée dans le passé de mes anciennes relations ratées, mais mon impulsivité me fait regretter beaucoup d’histoires, ce qui fait que la plupart du temps, je prends une ou deux minutes et j’essaie de me rassurer en me promettant que la prochaine fois, je changerai d’attitude pour me fondre à l’amour de nouveau, malgré le vide laissé par toutes les fois où l’union n’a pas été assez solide pour se souder. 

Et c’est là que j’ai vu la lumière bleue silencieuse de mon téléphone-kamikaze s’illuminer. Il avait accepté ma demande. Loser. Tellement de dramas pour un clic de souris. Tout de suite, il m’a écrit en message privé et on s’est raconté nos vies d’aujourd’hui. Il m’a aussi confié qu’il avait rien contre moi, mes peurs émotionnelles gâcheuses de relations humaines et mes questionnements trop grands pour l’humanité, parce qu’en dépit du temps qui nous avait séparé, il avait connu des filles plus connes que moi, et moi, des gars moins cools que lui. Mais après deux jours de questions-réponses insignifiantes, on s’estompait tranquillement à l’écart de nos notifications de lumière bleue qui se faisaient de plus en plus rares et j’ai donc laissé tomber, en me promettant que, s’il voulait me parler, il saurait où me trouver, mais que moi, je ne ferais rien de plus pour chercher son attention.  La simplicité d’une relation neutre après une relation de presque amour d’il y a trop longtemps m’allait parfaitement.  Le vendredi soir suivant, le mardi de nos retrouvailles Internet, j’ai décidé d’aller faire un tour dans la ville où j’ai grandi parce que j’avais des choses importantes plates à faire et qu’en plus, étrangement, j’avais envie de voir des visages du secondaire que j’avais perdu dans la brume après mes 17 ans. Juste un peu envie. C’est comme ça que je me suis ramassée dans le bar de la place, entourée de chix qui se regardent toutes plus croche entre elles les unes que les autres et des garçons habillés comme des pêcheurs (je fais référence aux tuques en haut des oreilles en laine), en errant comme une étrangère entre les conversations de mes amis à la recherche d’eye contact qui pourrait m’enflammer la rétine le temps d’une soirée. 

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Source : huffingtonpost.com

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Source : thedrum.com

Avouez, hein? Jusqu’à ce que quelqu’un crie dans mon dos : «Heyyyy! T’as connais elle!». Je me retourne. C’est lui et son ami. Celui que je ne m’étais pas mentalement préparée à affronter en personne, contre le moi qui savait pas s’il fallait que j’aille le voir ou s’il fallait simplement que je sourisse, plantée là comme une fleur qu’on aurait oublié d’arroser au soleil.  Et comme ses yeux me lançaient une averse de tonnerre gentil partout sur mon corps ratatiné de gêne et d’envie à la fois, je me suis pelleté un chemin jusqu’à ses racines pour ressentir l’électricité qu’à une époque on partageait encore.  On s’est dit un allô bizarre et je l’ai entraîné sous le ciel noir de la terrasse en buvant ma pinte d’Hoegaarden, en me faisant des scénarios d’ados, parce que je suis clichée et que mon signe astrologique c’est le poisson. On se fumait du goudron à deux pouces de la face en expirant une fumée blanche d’excuses, de raisons pis de ressentiments qui s’évaporaient en fragments de rires et de nostalgie sans filtre et c’est à peu près là que je lui ai demandé de m’embrasser.  On a éteint notre cancer et on s’est partagé notre poison salivaire comme deux cendriers pas propres sur le coin d’une table collante de plastique vert forêt. J’ai aimé ça. À ce moment précis de ma vie, je me crissais ben du monde qui nous regardait en supposant peut-être que j’étais juste une fille facile saoule, que mon bourrelet de dos paraissait dans cette position douteuse, que mes amis se demanderaient peut-être où j’étais et du hasard improbable qu’une fille et un gars se rencontrent dans un bar où ils ne vont jamais. 

Je pensais à rien. Exactement comme lorsque je me suis ramassée chez lui, dans son appartement aux murs blancs à se parler-frencher sur son sofa mou plus confortable que le mien sans même qu’on se touche. Ou quand je l’ai revu le lendemain soir et qu’on a écouté Karaté Kid en buvant du vin d’épicerie et en s’endormant collés sans baiser.  Et quand on s’est dit «À bientôt» dans son auto en s’embrassant, pas avec la langue, sur du Katy Perry en background qui jouait à la radio et qu’on s’est regardé partir, à la vitesse où on s’était retrouvés en sachant que ça serait pour de vrai la dernière fois.  J’étais peut-être juste en manque d’attention ou, je sais pas, peut-être que ça existe deux humains qui s’aiment, mais pas assez pour le faire devant leur grand-mère… 

Source de couverture : themoviescene.co.uk

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