C’est au son grave et rythmique des instruments à corde joués par le Quatuor Molinari que s’ouvre le spectacle de danse Le corps des avalés, chorégraphié par Virginie Brunelle. Ce que le spectateur s’en vient regarder, c’est une pièce poétique et abstraite, mais où se profile très nettement les contours d’une réflexion sur le monde abîmé et désemparé dans lequel nous évoluons.

C’est à travers coups de pied au sol frénétiques et vifs tapements au cœur, un hymne presque primal, que les sept danseurs de la production donneront vie à la vision de la chorégraphe. Les spectateurs assistent à une bataille fougueuse, un tiraillement déchirant, une guerre que les artistes se livrent à eux-mêmes. Ils sont déchaînés, comme pris dans une boucle et acharnés à force de répétitions. Leurs mouvements sont parfois négligés, lancés. Parce que la guerre est rude; parce que la guerre est sans pitié: elle n’est pas toujours belle et soignée.

C’est entre douceur et violence, langueur et véhémence, immobilité et mouvance qu’oscillera tout le spectacle. Virginie Brunelle crée une chorégraphie tout en contrastes. Les moments de pause, où seules les respirations des danseurs meublent le silence, viennent s’opposer aux moments de symphonie où les archets s'emportent. Les mouvements, tantôt saccadés, parsemés de soubresauts, tantôt lents et contemplatifs, dictent la cadence. La musique, aussi lourde que frivole à certains moments, accompagne les danseurs dans ce tumulte contradictoire.

Le spectacle est aussi basé sur bon nombre de répétitions: elles agissent à titre de motifs, de rimes visuelles. Les danseurs s’en trouvent épuisés, abattus, lassés de répéter ces mêmes mouvements, comme une routine à laquelle ils se conforment sans trop savoir pourquoi.

Les danseurs, lorsqu’ils dansent tous en groupe, ne forment plus qu’un: ils sont un cœur, qui bat et se débat pour rester en vie. Ce cœur, il court une course effrénée : du début à la fin, les danseurs s’élancent d’un bout à l’autre de la scène, que ce soit pour créer divers canons ou pour se lancer éperdument dans les bras l’un de l'autre. Leurs pulsations cessent enfin, avant de foutre la pagaille, de faire le désordre parmi des dizaines de portées où le spectateur ne saura plus où poser les yeux. S’en suivent alors des duos intimes, où l'audience ressentira presque un inconfort, comme un voyeur en train d’observer une scène privée.

virginie brunelle le corps des avalésSource image: Danse Danse - Raphaël Ouellet

Les sept artistes dansant sur scène expriment leur impuissance devant ce monde froid, alors qu’ils tentent en vain de mettre la main sur quelque chose, quelqu’un, qui leur échappe aussitôt. En même temps, ils essaient de se défaire de quelque chose qui ne semble pas vouloir les quitter, qui leur colle à la peau. Ils nous racontent une fable sur l’amour et l’animosité.

Bref, la chorégraphie de Virginie Brunelle est lourde de sens et en métaphores. Les danseurs y ont mis leurs tripes. Le spectateur le remarquera à travers les numéros extrêmement demandants physiquement et dans leur grande démonstration de synchronisme. Car, au milieu du silence, ils bougent tous en même temps, comme animés par les mêmes notes inaudibles. La danse qu’ils exécutent est brute, vraie, charnelle: loin des artifices, il en exulte une authenticité bestiale.

Virginie Brunelle réussit avec brio à mettre en lumière le monde et les individus d’aujourd’hui, désincarnés, confus, mais profondément beaux de par leur quête d’affranchissement et de sens.

Source image de couverture: Danse Danse - Raphaël Ouellet
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