Je nage relativement bien dans le fond de l’eau, mais je ne connais qu'un style de crawl et de respiration. C'est ce que j'ai été capable d'apprendre toute petite, ou ce qui m’a été imposé. Je me le demande encore parfois.

Je me débrouille suffisamment bien pour suivre le courant entre les rochers du lit de la rivière. Je suis là, au fond de l’eau, et j’y respire parfaitement. Sans jamais m’y noyer. J’étais bien seule. Je suis bien seule. Bien seule entre les algues qui s’enroulaient autour de mon corps à chaque mouvement que je tentais de faire.

Il faisait noir. Il faisait froid.

Puis, un jour, tu es arrivé. Arrivé pour m’aimer.

C'est ce que tu m'as chuchoté après cette promenade dans ma vallée. La vallée, celle tout au bout de la crevasse de mon corps. La troisième crevasse à gauche, celle où le cours d'eau m'a creusé le plus loin. Où c'est noir partout. Tu l'as explorée du bout de tes mains. Tu l'as effleurée du bout de tes lèvres. Tu m'as dit que c'était bien. Tu m’as dit que c’était doux. Tu es un voyageur.

Tu m'as dit que tu aimais fleureter avec l'inconnu.

Cette vallée où habite mon passé. Où mes souvenirs se chamaillent du côté de l'ombre et de la lumière. Mes souvenirs sont immatures, et moi, bien guère plus vieille qu'eux. Tu les as écoutés se raconter sans arrêter de sourire. N'avais-tu donc pas peur de côtoyer tant de noirceur? C'était presque à se demander si une âme se logeait bien au coeur de cette femme.

J'ai mal d'être explorée ainsi. D’habitude, on m'évite. J'ai toujours pensé être un détour. Mais tu m'as dit que tu voulais t'arrêter sur moi. Tu m'as dit que tu avais assez voyagé. J’ai eu mal. Mon cœur était percé.

Pendant que je nageais dans les bas-fonds, toi, tu te baignais.

Tu m'as dit que tu ne craignais ni l’eau, ni le froid, ni le noir, ni la solitude. Mais qu’est-ce que tu faisais-là ? Mais qui es-tu donc ? Tu te baignais comme le font les enfants qui font des chandelles au fond de l'eau et qui crient Marco Polo en fermant les yeux le cœur bien heureux. Pendant que moi, je m’arrachais à trouver un sens à mon existence.

J'ai souri en te regardant jouer en moi.

Moi, qui suis malade. Malade, là où on n'a pas le droit de l'être.

Parce que c'est par là qu'on communique : l’esprit. Mon esprit me quitte parfois. Il me joue des tours, me fait entendre et voir des choses qui n’existent pas. Ma tête ne m’appartient pas complètement. Toi, ça ne t'a pas fait peur qu'on se parle d'ailleurs. Tu as un cœur grand comme les songes d'enfants. Toi, tu m'as explorée, tu m'as aimée

Et ça m’a transpercée. Ça m’a fait mal. J’al mal d’être aimée réellement.

Tu m’as confié que tu étais ici pour nager et jouer avec moi. Qu’on avait un monde à bâtir ici, ensemble. Être aimé pour ce que je suis, c’est très déstabilisant. Parfois, je te quitte sans crier gare. Je sais que je suis coincée dans les fonds, sans me noyer. Mais toi, tu sais instinctivement que les profondeurs ont beaucoup plus à offrir que des vers mélancoliques. Ma noirceur. La mienne. Celle que je m'efforce d'aimer. Un peu plus chaque jour. Grâce à toi. Parce que les plus belles lumières apparaissent dans l'obscurité la plus totale.

Source de l'image de couverture : Unsplash
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