J’ai toujours eu le réflexe de me fier à mon esprit quand la réalité m'échappe, qu'elle me lasse ou me brûle. Je suis comme ça. Je marche dans les rues à -35 avec les pieds gelés et je souris en imaginant des choses improbables, en m’évadant dans ma tête pour oublier que mon gros orteil menace de se détacher de mon corps tellement il est frigorifié. Il y a toujours un endroit positif à explorer, quelque part, dans mon crâne.

J’ai l’arme la plus imposante contre les énergies négatives: l'imagination. Peu importe où je suis, je l’emporte avec moi. Elle me permet de rire, d’être bien même si les choses tournent mal. Elle me permet d’entrevoir un avenir meilleur et heureux dans les moments les plus sombres. Elle me permet de me créer mille et un scénarios, tous plus farfelus les uns que les autres, pour me sortir de cette immensité de noirceurs qu’est parfois la vie.

Mais cette imagination m’a longtemps été reprochée.

On me disait que j’avais la tête ailleurs, que je n’étais pas réaliste, que je rêvassais trop. À l’école, je me souviens que mes enseignants écrivaient toujours une note à mes parents « votre fille est dans la lune!!! ». C’était presque devenu un running gag. À chaque nouveau bulletin, mon père attendait la note qui lui rappellerait à quel point je n’écoutais presque rien parce que mes idées étaient beaucoup plus intéressantes que tout le reste.

Et même si mes parents ne devaient plus signer mes bulletins à l’université, je me retrouvais toujours devant la même note. « Attention, Catherine, tu es dans la lune, souvent! »

Mon imagination était une faiblesse aux yeux de presque tout le monde.

Surtout dans les contextes sociaux et dans les institutions. Pour apprendre, elle était une embûche, pour les professionnels de la santé elle était un diagnostic flagrant, pour les conversations et les rencontres entre amis elle était signe d'impolitesse.

"Votre enfant doit apprendre à se concentrer sur ce qui se passe devant elle."

"Madame, vous devrez prendre des médicaments."

"Tu ne m'écoutes pas, pourquoi faut-il toujours que tu penses à autre chose !"

C'était plus fort que moi.

Mon imagination me permettait pourtant de m’évader du triste réel, de la vie morne et rurale, des injustices sociales, des tragédies, de la haine, du monde. En quoi cela est-il négatif? Avoir un outil capable de consoler toutes les tristesses, juste là, dans mon cerveau.

Peut-être en étaient-ils jaloux? Il est vrai que ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir fermer les yeux sur les pires cauchemars pour trouver refuge au creux de sa matière grise. C’était comme si je pouvais accéder à un monde parallèle pendant que mon enveloppe charnelle restait là, à s'ennuyer ou même à souffrir.

Même si l’on m’a reproché longtemps de ne pas être « vraiment là », mon espace d’évasion m’était vital. J’ai appris à l’aimer, à l’apprivoiser. À le dompter, surtout. Même si les autres ne comprennent toujours pas.

J'aurai toujours la tête dans les étoiles, mais ce que les autres en disent ne me fait plus de mal, maintenant.

Et puis s'ils me font des sermons, je n'aurai qu'à partir, quelques secondes, visiter les paysages les plus bucoliques et inventer un Nouveau Monde, à moi toute seule. Un monde où les dons ne sont pas vus comme des différences.

Source image de couverture: Unsplash
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